ANALYSES

Aide humanitaire : « Le consensus européen à l’épreuve de la guerre en Ukraine »

Presse
13 juin 2022
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est rendue le 8 avril 2022 à Boutcha en Ukraine « parce qu’à Boutcha, notre humanité a été ébranlée ».

Les annonces sur la fourniture d’armes font oublier que l’action de l’Union européenne en Ukraine est aussi humanitaire et que l’Europe est le deuxième bailleur de fonds humanitaire dans le monde.

La Commission européenne, à travers Echo (European civil protection and humanitarian aid operations), finance depuis 1992, des centaines de partenaires opérationnels que sont les ONG (Médecins du monde,…) et les agences de l’Onu (Organisation mondiale de la santé, etc.)

À titre d’exemple, en 2020, Echo a alloué plus de deux milliards d’euros à ses partenaires, mobilisés dans plus de 80 pays.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Commission européenne a attribué 230 millions d’euros aux actions humanitaires.

En 2007, l’Europe a fixé des objectifs et adopté des principes dans le Consensus européen sur l’aide humanitaire. Les objectifs, « préserver la vie, éviter et atténuer les souffrances » et les principes, « humanité, neutralité, impartialité et indépendance », sont ceux que l’on retrouve d’ailleurs dans les chartes des ONG.

Selon l’Europe, la neutralité signifie « que l’aide humanitaire ne doit favoriser aucun camp », l’impartialité « que l’aide doit être octroyée sur la seule base des besoins, sans discrimination » et l’indépendance « que les objectifs humanitaires doivent être détachés des objectifs économiques, militaires ou autres ».

L’Europe, au regard de sa doctrine, est bien compétente pour financer l’humanitaire en Ukraine. Cela étant, on observe qu’en sus de l’aide humanitaire, l’Europe envisage une assistance financière de 9 milliards d’euros en 2022 et une aide militaire qui atteint déjà deux milliards.

L’action conjuguée, économique, militaire et humanitaire, de l’Union européenne, compte tenu des enjeux géopolitiques, pose pour certains la question de l’effectivité des principes humanitaires européens. D’autres mettent en avant le risque que ferait peser sur ces principes une forme de « cobelligérance ».

Pour Julia Grignon, chercheuse en droit des conflits armés, « malgré la persistance d’un certain flou autour de (…) la « cobelligérance », qui peut (…) s’appréhender sous plusieurs angles différents en droit international, il convient de retenir que le soutien apporté par un grand nombre d’États à l’Ukraine, notamment au travers de la livraison d’armes ou d’un soutien économique (…) n’est pas de nature à faire de ces États des parties au conflit. (…) »

Jouant sur ce flou, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, a pu déclarer que « l’UE est passée d’une plate-forme économique constructive (…) à un acteur agressif et belliqueux (…)».

Si les principes humanitaires européens peuvent être en tension sur le terrain opérationnel ukrainien, dans notre Europe démocratique, ils constituent aussi un canevas pour débattre sur la place de l’humanitaire dans les politiques publiques, l’humanitaire d’État était parfois engoncé dans le civilo-militaire ou les affaires étrangères.

Un débat, même vif, n’est jamais un danger pour des institutions démocratiques. En revanche, danger il y a si des pays autoritaires belligérants exploitent des situations complexes pour menacer d’ignorer les conventions de Genève qui protègent les ONG au motif que ces dernières, financées par Echo, ne seraient plus impartiales, indépendantes et neutres.

 

Une tribune publiée dans Le Télégramme.
Sur la même thématique