ANALYSES

Alimentation : le dynamisme du mou

Presse
10 mai 2021
Les derniers mois nous invitent à préparer la société du vieillissement qui nous fait face. Pour les seniors (âgés de plus de 65 ans), il faut surtout pouvoir augmenter l’espérance de vie en bonne santé. Dans ce contexte, l’alimentation jouera un rôle fondamental. Y compris celle qui sera proposée à des personnes du grand âge (plus de 80 ans) pour qui la mastication devient un réel problème avec l’évolution de leur dentition.

Parmi les marchés porteurs surgit ainsi celui de l’aliment mou. Les personnes de plus de 65 ans représentent 20 % des Français. A l’horizon 2030, ils seront plus nombreux dans le pays que les jeunes de moins de 20 ans, même avec la pandémie de la Covid et ses conséquences sur les plus âgés. Après 2030, ce sont les plus de 80 ans qui devraient connaître l’accroissement démographique majoritaire dans le pays. Ces individus, correspondant à la génération du baby-boom, seront aussi plus exigeants.

A l’image de la France, la planète grisonne. Le vieillissement s’accélère partout depuis la fin du XXe siècle. Cela vaut pour le grand âge : les plus de 80 ans sont désormais 150 millions sur Terre, un chiffre multiplié par trois depuis 1990. S’ils formaient un pays à eux seuls, ce serait la neuvième puissance démographique du monde ! A l’horizon 2050, ils pourraient représenter l’équivalent de la population totale du continent européen.

La société devra répondre à leurs besoins, à leur volonté d’autonomie prolongée, puis aura à gérer davantage de dépendances et de fragilités. Il nous faut assurément repenser la vieillesse comme une étape dans la vie, et pas seulement comme le bout d’une vie. Il faut la rendre innovante, inclusive et adaptée.

« L’évolution des textures est depuis longtemps au cœur des innovations proposées dans les filières laitières, avec les yaourts, ou de fruits et légumes, qui ont misé sur les purées, soupes, jus et compotes. Tout cela n’est pas suffisant au regard des enjeux à venir »


Qualité de vie. C’est dans cette perspective que l’alimentation intervient. Il va falloir correctement nourrir plus de seniors et plus de personnes très âgées. Qui dit croissance de cette population dit augmentation du nombre de bouches à nourrir, alors que les systèmes bucco-dentaires se fragilisent chez la majorité des individus. En France, la moitié des seniors porte une prothèse dentaire. Cela leur permet de maintenir une qualité de vie à plusieurs niveaux, de l’apparence physique à la capacité de communication orale. C’est aussi essentiel pour l’alimentaire, puisque les prothèses aident les seniors à mastiquer et donc à repousser le spectre de la dénutrition liée aux dégradations dentaires.

Néanmoins, pour les personnes du grand âge, de telles prothèses rencontrent certaines limites : intolérance à l’appareillage, coûts à engager… Même si depuis 2021 un remboursement intégral est proposé sur les prothèses amovibles en résine, celles-ci recouvrent le palais et rendent la mastication inconfortable et sans saveur. Beaucoup de personnes ne les supportent pas. Les implants dentaires, qui procurent une sensation proche de l’organe dentaire pour la nourriture, sont très peu pris en charge.

L’altération du système dentaire ou la perte de dents nous concerne tous. Ne pas pouvoir mâcher sa nourriture constitue un véritable handicap et peut même devenir un risque sérieux pour la santé. S’il faut donc compter sur les progrès médicaux et le travail d’orfèvre de dentistes, peut-être conviendrait-il aussi de réfléchir aux aliments consommables quand notre bouche se transforme !

Les aliments mous sont sans doute appelés à se renforcer ! Compte tenu des perspectives démographiques d’un côté et bucco-dentaires de l’autre, il s’agit d’un segment stratégique qui devrait s’épaissir et s’élargir. L’évolution des textures est depuis longtemps au cœur des innovations proposées dans les filières laitières, avec les yaourts, ou de fruits et légumes, qui ont misé sur les purées, soupes, jus et compotes. Tout cela n’est pas suffisant au regard des enjeux à venir. L’offre de produits doit à la fois s’enrichir en termes de variétés et apports nutritionnels, mais aussi de plaisirs. Manger des aliments mous ne doit plus être considéré comme une épreuve peu ragoûtante, mais bien au contraire s’inscrire dans cette tendance forte que le grand âge cultive : profiter de la vie tout en prenant soin de soi.

« Comment transformer une alimentation “subie” en alimentation “voulue”, tout en gardant les caractéristiques nécessaires à la santé de ces personnes qui, même avec leur grand âge et sans leurs dents, restent des consommateurs ? »


Cuisine moléculaire. Comment transformer une alimentation « subie » en alimentation « voulue », tout en gardant les caractéristiques nécessaires à la santé de ces personnes qui, même avec leur grand âge et sans leurs dents, restent des consommateurs ? Cela signifie demain d’être en mesure de commercialiser des aliments mous attractifs, bons et sains. Si la dimension fonctionnelle est évidente, sachons lui donner davantage de satisfaction gustative. Inventons une cuisine moléculaire pour seniors qui soit calibrée à leurs besoins et accessible au plus grand nombre ! Au défi de la mastication, place à celui de la dégustation !

Plusieurs acteurs du secteur agroalimentaire travaillent sur les aliments aux textures modifiées et sur les mous. Ces initiatives s’inscrivent plus largement dans le business à forte croissance de la séniorisation socio-économique. Mentionnons aussi les eaux gélifiées ou les poudres épaississantes et nutritionnelles qui aiguisent les appétits. Les stratégies de recherche-développement s’ajustent et des alliances se structurent avec les professionnels de la santé. Il est fort à parier de voir des marques s’investir ou apparaître dans ce créneau.

En parallèle, une réflexion doit également avoir lieu à propos des solutions alimentaires offertes pour les personnes très âgées au sein des établissements hospitaliers ou des maisons de retraite type Ehpad. Là où s’amplifie la présence d’aliments aux textures modifiées depuis quelque temps. Et puis pourquoi pas viser toutes celles et ceux qui voudraient consommer mou ? Après tout, serait-ce un axe alimentaire réservé aux seniors et aux nourrissons ?

Outre le fait que les personnes âgées souhaitent parfois privilégier des produits qui ne leur sont pas directement destinés sur le plan marketing, et qu’il y a là aussi une valorisation de produits hachés/mixés vers des seniors récalcitrants à tomber dans une telle catégorie générationnelle, nous pourrions nous demander si manger mou, plus souvent, apporterait des dividendes de long terme à ces dents martyrisées par la mastication. Bien se nourrir, c’est agir au quotidien sur sa santé et construire sa meilleure assurance vie. Manger plus mou demain sera peut-être un créneau porteur.
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