ANALYSES

Infodémie, l’autre épidémie

Tribune
30 août 2020


Un néologisme – infodémie lancé par l’OMS en février – renvoie à un phénomène en expansion : la prolifération d’informations fausses ou douteuses liées à la pandémie. Surtout sur les réseaux sociaux. Certaines ont sans doute tué (en suggérant se contenter d’eau de Javel ou d’ail si vous êtes contaminé…), d’autres incriminent des responsables (Bill Gates, l’Institut Pasteur ou le gouvernement chinois auraient fabriqué le virus). Toutes – faits inventés et théories spécieuses – sapent la confiance dans l’expertise, les médias, les gouvernements, les services de santé… Que ce soit pour les causes de l’épidémie (des conspirations), son étendue, sa gravité effective, les voies et moyens de sa propagation, ses remèdes, l’action des autorités, bref partout où elle s’oppose à une « vérité officielle », les thèses alternatives (et souvent contradictoires) traduisent une méfiance inédite.

Certes le phénomène n’est pas nouveau – des rumeurs accompagnaient la peste d’Athènes en 430 avant notre ère -. Quant à la critique des médias sociaux (tant célébrés au moment du printemps arabe), maintenant réputés ennemis de la vérité et de la démocratie, elle est devenue un mantra depuis les élections de 2016 : écosystème des complotistes, vecteur d’ingérence électorale russe, paradis des pirates, outils de subversion politique, zone de défoulement des populistes ou « bulle » de confirmation pour les délirants persuadés que la terre est plate, qu’on « nous cache tout » et qu’une organisation nous manipule à travers les mass médias à leur service…

Certes, contestations (de la science, de l’autorité, des idées « dominantes », des médias) et mises en cause (la faute de Bill Gates, d’un laboratoire d’armes biologiques, du Big Pharma, des Chinois, des milliardaires) se rencontrent chaque fois qu’un évènement bouleverse l’opinion. Mais ici, la durée de la crise aggrave des mécanismes déjà bien connus :

– la désinformation au sens strict (introduction délibérée dans le circuit médiatique d’assertions falsifiées pour affaiblir un adversaire) est plus rentable au temps du coronavirus. Pour de simples escroqueries (tels les « pièges à clics » qui attirent les internautes pour les pirater ou les diriger vers un site), ou pour des manœuvres internationales d’influence (sur la responsabilité d’un pays et la performance ou faillite de tel système chinois, américain, libéral, autoritaire, suivant le cas…), le fait que des milliards de gens cherchent des informations en ligne favorise la manipulation. La machine à produire du faux s’emballe et enclenche la machine à en reproduire, diffuser, commenter, avertir, confirmer, contester. Des flux d’attention énormes à capter commercialement ou idéologiquement.

Le tout exacerbé quand ces gens éprouvent le besoin de donner un visage à leurs peurs et une confirmation à leurs intuitions, l’envie d’expliquer un phénomène aussi bizarre que la mutation d’un virus, la crainte d’être dupes (on savait, on aurait du savoir, on ne nous dit pas), le goût du soupçon voire le besoin de trouver des coupables et, en tout cas, l’espérance d’un salut à portée de la main, que ce soit le thé au fenouil ou la vitamine C.

– la mésinformation, mélange du vrai, du faux, de l’approximatif et du douteux. Dans la mesure où il n’est pas question uniquement de faits bruts (comme : A a tué B) mais de réalités statistiques évolutives, de projections et anticipations de courbes, d’études en cours, de situations chaotiques et de sources dispersées, la frontière du certain et du probable s’efface. Le recours au joker Science ne résout pas la question. D’abord parce que les acteurs scientifiques se contredisent (sans parler du fait que leurs positions donnent lieu à soupçons). Ensuite parce que la démarche scientifique consiste aussi à reconnaître ses zones de doute et d’ignorance : elle a besoin de temps pour l’administration de preuves et pointe rarement des causes ou des solutions simples et uniques. Or les réseaux sociaux ont plus soif de véracité que de vérifications.

– la surinformation, mesurable en millions de tweets ou en milliers d’heures de plateaux, est le terrain propice à ces phénomènes. Elle est surtout paniquante pour l’honnête citoyen qui voudrait former son opinion sur des faits unanimement reconnus. Dans sa quête de certitude, il se heurte très vite à la limite de l’autorité à laquelle accorder sa confiance : qui, parmi nos lecteurs, a été lire directement l’étude (depuis retirée) de The Lancet ou a vérifié par lui-même le critère de « morts du coronavirus » au Brésil et en Allemagne ? Pas nous.

Certes, un énorme dispositif s’est mis en place pour repérer, signaler ou retirer les fakes/infox. Des Organisations internationales et des ONG, des services d’État et des rubriques « fact-checking » comme en possède chaque média ou presque… Sans compter les Gafam qui suppriment de faux comptes, déclassifient ou retirent de fausses informations, lancent des avertissements et censurent.

Mais ils se heurtent au fait que la grande peur épidémique révèle une double mise en cause un savoir et un pouvoir dont ces dispositifs sont le symbole. La guerre du faux est asymétrique : rectifier les croyances, c’est souvent les stimuler.
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