ANALYSES

L’Australie rejoint les États-Unis pour contrecarrer les plans de la Chine dans l’Indopacifique

Tribune
31 juillet 2020
Par Alexandre Dayant, chercheur au Lowy Institute


Aux États-Unis, la crise du coronavirus bat son plein et les tensions domestiques n’en finissent pas. Malgré cela, ce mardi s’est tenue à Washington la 30e édition des consultations ministérielles annuelles entre l’Australie et les États-Unis (AUSMIN).

Après un long vol depuis Canberra, la ministre australienne des Affaires étrangères Marise Payne et sa collègue de la Défense Linda Reynolds ont rencontré leurs homologues américains le Secrétaire d’État américain Mike Pompeo et Mark Esper, le Secrétaire à la défense des États-Unis. Le thème central de la rencontre : les récentes actions du gouvernement chinois dans l’Indopacifique et les actions à prendre pour protéger et avancer les intérêts régionaux communs de Canberra et Washington.

A la sortie de l’AUSMIN, le message était clair. En raison de la pandémie de Covid-19 et de l’intensification des tensions géostratégique dans l’Indopacifique, l’alliance australo-américaine s’engage à s’adapter aux défis régionaux et à fournir à ses partenaires un soutien essentiel en matière de sécurité sanitaire et de défense.

Alors que les précédents communiqués des AUSMINs n’offraient que peu de points d’actions, celui de mercredi change la donne en proposant une longue liste de mesures pratiques.

Et c’est le secteur de la santé qui apparait comme prioritaire. Le communiqué offre une description détaillée des actions sanitaires à mener dans la région, allant de la coopération sur les maladies infectieuses à la préparation pour une nouvelle pandémie, en passant par le renforcement des services de santé, le développement de vaccins et la distribution de matériel médical. L’Indonésie, la Papouasie Nouvelle-Guinée, ainsi que plusieurs autres nations victimes du virus seront les premières à bénéficier de ces nouvelles dispositions.

Bien qu’elles soient importantes d’un point de vue sanitaire, c’est sur le plan géostratégique que ces mesures jouent un rôle majeur. En effet, en aidant la région à se rétablir, ces actions vont aider Washington à reconstruire sa réputation de leader humanitaire de l’Indopacifique. Pour les Américains, cela constitue un point crucial dans leur compétition d’influence avec la Chine. En effet, ces mesures devraient leur permettre de reconstruire le soft-power régional dont ils bénéficiaient avant qu’il ne s’effrite graduellement au profit de Pékin.

D’un point de vue sécuritaire, les États-Unis et l’Australie ont fermement réaffirmé leurs inquiétudes face à l’utilisation grandissante par la Chine de techniques coercitives dans la région. Pour dissuader Pékin de continuer dans la même direction, les deux alliés se sont engagés à « une coopération maritime accrue et régularisée », une lutte commune contre les campagnes de désinformation chinoises, tandis que les États-Unis ont « renforcé leur détermination à soutenir Taiwan ». En plus, l’alliance australo-américaine s’est engagée à développer les capacités domestiques des pays de l’Indopacifique, afin de les aider à sauvegarder leur souveraineté et résilience.

La plume australienne dans ce communiqué est calme, mais précise. De la 5G à la liberté des opérations de navigation, il est clair que Canberra a réfléchi à ses propres intérêts politiques, tout en évitant de se faire forcer la main par Washington.

Ainsi, lorsque Mr. Pompeo a pressé l’Australie de mener des exercices plus assertifs auprès des îles contestées de la mer de Chine méridionale, la ministre Reynolds a seulement répondu que c’était un « sujet de discussion ». « Notre approche reste cohérente, nous continuerons à transiter par la région conformément au droit international », a-t-elle déclaré.

Cette volonté d’indépendance dans l’alliance est aussi confortée par la récente mise à jour de la stratégie australienne de défense 2020. En effet, le bond de géant du budget australien en matière de défense révélé au début du mois témoigne de la reconnaissance par Canberra que les États-Unis ne peuvent plus maintenir seul l’ordre dans Indopacifique, et que l’Australie doit prendre les devants.

Que peut-on attendre dans le futur pour la collaboration entre l’Australie et les États-Unis ?

L’une des décisions prises au AUSMIN cette semaine est d’établir une réserve de carburant militaire stratégique à Darwin, au nord de l’Australie. Les Américains disposent déjà d’une base militaire dans la région. Cette nouvelle décision d’agrandir les capacités d’approvisionnement suggère donc une croissance significative de la présence du US Marine Corps dans le nord du pays.

D’une certaine manière, cela marque le début d’une nouvelle ère dans la collaboration militaire australo-américaine. Cependant, si l’ambition de l’alliance est de se transformer en un mécanisme de dissuasion régionale, Canberra et Washington devraient définir clairement une stratégie militaire coordonnée et une planification d’urgence combinée. Pour le moment, nous en sommes encore loin, même si les avancées de cette semaine pavent le chemin dans cette direction. Finalement, le communiqué d’AUSMIN se lit comme un retour à la « normale » de l’engagement américain auprès de son allié australien. Il n’y a rien là-dedans qu’une administration Biden ne devrait rejeter, marquant ainsi la pérennité de ce nouvel élan. Reste maintenant à savoir comment Pékin réagira.
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