ANALYSES

A Sunny Day in New York

Correspondances new-yorkaises
5 mai 2020


New York City, il y a quelques jours.

Je sors de l’hôpital Mount Sinaï, où je viens de subir un examen prévu de longue date et qui ne pouvait être repoussé.

Je longe Central Park. Le soleil brille. It’s a beautiful day.

Sur la pelouse de l’East Meadow, l’une des grandes aires de jeu du parc, j’aperçois les tentes de l’hôpital de campagne mises en place par Samaritan’s Purse, une organisation humanitaire évangélique basée en Caroline du Nord et qui a dépêché sur place une soixantaine de personnes pour faire face à l’afflux de malades du Covid-19.

Samaritan’s Purse est présidée par Franklin Graham, fervent soutien de Donald Trump. Ce missionnaire évangélique dénonce régulièrement à travers des fake news « les intentions cachées des homosexuels » ou le « mensonge transgenre », combat l’avortement ou qualifie l’islam de diabolique. Mais face à l’urgence de la crise à New York, le gouverneur de l’État et le maire ont laissé faire. La mairie a juste exprimé le souhait que les potentiels malades LGBT soient traités comme les autres…

Ce sont ces mêmes évangéliques qui voient très sérieusement en Donald Trump un « envoyé de Dieu », « l’élu » venu « sauver » les États-Unis, et même le monde.

Certains reconnaissent même en lui un nouveau roi David ou le roi perse Cyrus, qui, selon l’Ancien Testament, fit reconstruire le temple de Jérusalem« Nous autres croyants, pensons que Dieu organise les affaires du monde et se sert de gens imparfaits pour accomplir son dessein parfait. Trump a donc été élu selon Sa volonté. D’ailleurs, s’il n’est pas réélu, le pays sera en proie aux socialistes et aux haineux », clame un membre de l’équipe de médecins de Franklin Graham faisant écho aux propos tenus par Chris Matthews sur NSNBC.

Promoteur immobilier, présentateur télé, auteur de best-sellers qu’il n’a jamais écrit, président, le Donald n’avait sans doute pas imaginé que des millions d’Américains verraient un jour en lui « le sauveur envoyé par Dieu ». Grâce aux évangéliques, c’est désormais chose faite.

Il est curieux que personne n’ait pensé que cet hôpital improvisé – et pas si nécessaire que ça comme on s’en est vite rendu compte, si ce n’est au prosélytisme évangélique -, allait contribuer à rendre l’ambiance encore un peu plus anxiogène et renforcer le pessimisme général, en rappelant les Hoovervilles du début des années trente. C’est-à-dire ces bidonvilles apparus au cœur de Central Park et ailleurs avec la Grande Dépression de 1929.

Mais il est vrai que les gens n’ont plus de mémoire.

Une femme qui promène son chien m’informe que Samaritan’s Purse, va démonter ses tentes dans les prochains jours. « Leur travail de propagande est terminé », ajoute-t-elle avec humour.

Je monte dans le bus. Changement à Brooklyn Bridge. Dans trente minutes, je serai chez moi.

Avec plus de 30 millions de personnes qui se sont inscrites au chômage depuis la mi-mars, l’économie américaine continue de tomber comme une pierre. Selon certaines études, environ 45 millions d’Américains pourraient perdre leur emploi. C’est sans compter les millions de sans-papiers qui ne peuvent s’inscrire au chômage. Sans aide, nombre d’entre eux vont littéralement crever de faim.

Pour les autres, ce sont, aux quatre coins du pays, d’interminables files d’attente afin de recevoir des cartons de nourritures mis à disposition par les États et les villes.

Comment faire autrement pour de nombreuses familles, quand les aides financières du gouvernement fédéral aux particuliers se font attendre, car Trump a insisté pour que les chèques portent sa signature… Ce qui, par ailleurs, est contraire à l’usage à quelques mois de l’élection présidentielle.

Les différentes phases de déconfinement s’amorcent. La plupart débuteront ce mois-ci. Et cela dans un désordre indescriptible, en totale contradiction avec ce qui a été fait dans les semaines précédentes. Ici – mais aussi malheureusement dans la France start-up nation de Macron, l’ami du libéralisme thatchérien -, sauver le capitalisme et le système est tout ce qui importe désormais.

Sur New York One, la chaîne d’info locale, on apprend que Joe Biden, s’il est élu, conservera l’ambassade américaine à Jérusalem. Quel intérêt de déclarer cela ? Une raison de plus pour les électeurs de Bernie Sanders de ne pas voter pour l’ancien vice-président.

On apprend également, toujours sur New York One, que Trump détiendrait la preuve que le gouvernement chinois est responsable de la propagation du Covid-19. Il a décidé de faire payer la Chine.

En plus des crises sanitaire et économique, il semble donc que l’on se dirige droit vers une crise diplomatique sino-américaine sans précédent.

Hier, des dizaines de corps en décomposition ont été trouvés dans des camions de déménagement devant un salon funéraire de Brooklyn. Les responsables ont expliqué qu’ils avaient utilisé les camions pour l’entreposage des corps, car la chapelle est pleine à craquer. « Les cadavres pleuvent de partout », ont-ils déclaré. Les autorités, elles, avaient été alertées par les riverains dérangés par l’odeur.

La plupart des corps ont rapidement rejoint l’immense fosse commune récemment creusée à Hart Island. Cette île au nord-est du Bronx, surnommée depuis longtemps l’île des morts.

Let’s keep America great again.

______________________________________

Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider »  vient de paraître en Ebook chez Max Milo.
Sur la même thématique