ANALYSES

« Si nous ne régulons pas la globalisation, il y aura d’autres crises »

Presse
18 avril 2020
Le multilatéralisme, déjà mal en point, est-il en danger avec le coronavirus ?

La crise du coronavirus a provoqué une sorte de réflexe de sauve-qui-peut, où chacun s’est tourné vers des solutions nationales. Le problème le plus éclatant est bien sûr le coup de Trump avec l’OMS (arrêt de la contribution américaine à l’Organisation mondiale de la santé). Mais c’est simplement révélateur de sa politique de défiance à l’égard des institutions internationales, comme les retraits de l’UNESCO, de l’accord de Paris sur le climat ou de l’accord iranien sur le nucléaire. Ce n’est pas Donald Trump qui a inventé l’unilatéralisme américain mais il le pousse à un extrême. La crise du multilatéralisme s’aggrave au moment où il est plus que jamais nécessaire. C’est un paradoxe hallucinant.

La mondialisation est-elle en cause dans cette crise ?

La crise du coronavirus apporte la preuve que notre monde est globalisé : un virus né en Chine en décembre parvient à bloquer le monde trois mois après. Mais où sont les institutions pour gérer cette globalisation ? Nous sommes interdépendants. Nous sommes dans le village global promis par Marshall McLuhan mais on cherche le conseil municipal.

Les États-Unis accusent l’OMS de sa proximité avec la Chine…

Donald Trump reproche à l’OMS d’être trop proche de la Chine et il faut reconnaître que le dossier n’est pas tout à fait vide. Au début de la crise, l’OMS collait un peu trop à la communication chinoise et n’a pas joué son rôle de lanceur d’alerte. En même temps, on peut considérer qu’il n’est surtout pas le moment de stopper le financement de l’OMS. Même si cet organisme n’est pas infaillible, nous n’avons pas mieux en rayon.

Comment la Chine profite-t-elle de la crise pour renforcer sa puissance ?

Face au vide laissé par les États-Unis, la Chine instrumentalise la crise du multilatéralisme pour son propre intérêt. Elle a investi toutes les institutions internationales et par effet de contagion, si je puis me permettre, le coronavirus lui permet d’accentuer son influence. Son programme de route de la soie prévoit un volet sanitaire.

Pourquoi l’Occident ne joue-t-il plus ce rôle ?

On assiste, de manière générale, à l’effondrement de l’image de l’Occident. Il n’est plus la puissance indépassable, surtout quand on voit des fosses communes à New York. Pour ainsi dire, le roi est nu. La Chine est là et peut vous envoyer de l’aide, même en Italie. C’est un peu cynique mais il y a une sorte d’effet d’aubaine pour les Chinois face à des pays en désarroi et des Occidentaux plus en mesure de les aider.

L’Union européenne a-t-elle un rôle à jouer ?

L’Union européenne a mis en place la plus grande coopération en matière d’échanges et d’aides.

Le point négatif, c’est le refus de l’Allemagne de créer des “coronabonds” (euro-obligations) et de mutualiser la dette. Comme du temps de Mitterrand et Kohl, la question d’une Allemagne européenne ou d’une Europe allemande ressurgit. Le point plus positif est d’avoir relevé le défi chinois en Afrique avec une aide européenne de 20 milliards d’euros. Ce plan est à la fois généreux et intelligent. Si l’Afrique ne sort pas de la crise, nous n’en sortirons pas non plus. Quelque part, on protège aussi nos intérêts.

Quelles leçons le monde pourra-t-il tirer de la pandémie ?

Chacun reviendra-t-il à ses pratiques anciennes, comme après le 11 Septembre 2001 ou la crise financière de 2008 ? Cette crise montre la réalité de la globalisation et si nous ne la régulons pas, il y aura d’autres crises. Nous avons besoin de la réflexion des États, des ONG, des opinions publiques. En tant que Français et Européens, nous avons peut-être été trop naïfs à pousser la mondialisation à l’extrême. Ce n’est sûrement pas une bonne idée de faire fabriquer en Chine ou en Inde l’essentiel de nos médicaments. Il est temps de réfléchir à relocaliser certaines productions stratégiques. Je ne crois pas à la fin des frontières mais à la régulation de cette mondialisation. Pour faire en sorte que l’interdépendance ne mette pas en cause les indépendances.
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