ANALYSES

Entre sanctions américaines et pandémie de Covid-19, où en est l’Iran ?

Interview
20 mars 2020
par Thierry Coville, chercheur à l'IRIS


L’Iran est le théâtre d’une grave crise économique et sanitaire, touché de plein fouet par la pandémie de coronavirus. L’embargo, mis en place par les États-Unis, ne fait qu’exacerber les conditions de vie précaires des Iraniens. La Chine demeure ainsi le seul allié stratégique du pays, face à des sanctions américaines qui ne fléchissent pas. Le point sur la situation avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS.

Comment, avec l’embargo créé par les sanctions américaines, l’Iran peut-il espérer endiguer la pandémie de Covid-19, alors qu’il est le troisième pays le plus touché du monde, avec un taux de mortalité de 3,5 %, supérieur aux 2 % mondiaux ?

Ce qui était déjà évident avant la crise du coronavirus apparaît maintenant encore plus prégnant. La politique de pression maximum, exercée par les États-Unis, vise à créer une crise économique sans précédent en Iran. Cette politique ne fait pas de détail et touche, de fait, le secteur de la santé iranien. En raison de ces sanctions, le gouvernement a perdu au moins 40 % de ses recettes budgétaires. En effet, le pétrole représente en Iran entre 40 et 50 % des recettes de l’État. Du fait de l’embargo pétrolier américain, le pays a perdu la quasi-totalité de ses exportations pétrolières. De ce fait, le gouvernement concentre ses ressources pour financer ses dépenses courantes et faire en sorte que les fonctionnaires aient un salaire. Mais tout ce qui fait partie des dépenses d’investissement est supprimé. Dans un tel cadre, le système de santé iranien souffre. Il y a, de plus, un problème de pouvoir d’achat en Iran, toujours du fait des sanctions, l’inflation étant à 40 %. Le pouvoir d’achat de la population s’est effondré et une grande partie de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Si les sanctions américaines ne sont pas censées toucher le secteur de la santé, les banques étrangères, qui ont peur d’être affectées par ces sanctions, refusent de traiter ce type d’opérations et donc beaucoup de transactions concernant le domaine de la santé n’ont pas lieu. L’Iran a donc des difficultés pour importer du matériel de santé et des médicaments, ce qui a conduit à des pénuries. Du fait de la baisse des revenus du gouvernement, évoquée plus haut, et de la pénurie de médicaments, le système de santé iranien est au bord de l’explosion. Il n’est donc pas vraiment dans les meilleures dispositions pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. De plus, le gouvernement iranien parle d’aider la population, affectée économiquement par la crise, mais, on vient de le dire, le gouvernement iranien n’a quasiment plus d’argent. Il ne peut donc pas mener, à l’image des gouvernements américains et européens, des politiques de relance, ou encore financer des aides pour les secteurs économiques, affectés pas la crise du coronavirus.

Dans cette conjoncture actuelle de crise sanitaire et économique, quel rôle occupe la Chine en Iran, notamment face à des autorités américaines toujours plus sévères ?

Cette crise exacerbe les tensions. La Chine, avant cette crise, était déjà un des rares alliés économiques et stratégiques de l’Iran. Contrairement aux Européens, elle est le seul pays qui a continué d’acheter du pétrole iranien. Elle est également signataire de l’accord sur le nucléaire. C’est donc un véritable allié stratégique. De plus, la Chine a demandé officiellement, aux États-Unis, de lever leurs sanctions, compte tenu de la crise sanitaire iranienne, tout en apportant une aide sanitaire à l’Iran. Le partenariat stratégique entre la Chine et l’Iran est renforcé dans cette crise.

À la lecture des dernières déclarations de Mike Pompeo, on a l’impression qu’avec cette crise du coronavirus, les tensions ne sont plus simplement entre les États-Unis et l’Iran, mais se déplacent et confrontent les États-Unis à un bloc Iran-Chine. L’origine de la crise de coronavirus en Iran peut être liée au fait que la Chine, étant un partenaire économique important, les vols quotidiens entre les deux pays ont été maintenus, ce qui a pu conduire à l’introduction du virus en Iran.

Les autorités iraniennes sont-elles transparentes avec les populations civiles à propos du coronavirus ? Quels enjeux se cachent derrière le maintien de la ville sainte de Qom ouverte malgré la crise sanitaire ?

Cette crise du coronavirus arrive à un moment où on constate une crise de confiance entre les autorités et la population. Cette crise de confiance est notamment le résultat des divers incidents durant ces derniers mois. En novembre 2019, il y a eu des manifestations provoquées par la hausse du prix de l’essence. Puis, en janvier 2020, suite au crash du Boeing ukrainien abattu par erreur par les Pasdaran, les autorités du pays ont menti pendant trois jours, évoquant un problème technique qui aurait conduit à la chute de l’appareil.

Au début de la crise du coronavirus, régnait le sentiment, dans une grande partie de la population, que les autorités iraniennes cherchaient à minimiser l’épidémie, en ne communiquant pas véritablement tous les éléments dont ils disposaient. Mais il faut faire attention à ce type de critique. Lorsque l’on voit ce qui se passe aux États-Unis, on ne peut pas dire que le gouvernement iranien est le seul pays dans le monde à mal communiquer sur l’étendue de la crise. En Iran, il y a effectivement chez les « radicaux », et dans certains cercles du pouvoir, le sentiment qu’ils sont dans une situation de quasi-guerre avec les États-Unis. Dans un tel contexte, pour eux, faire preuve de transparence, c’est faire preuve de faiblesse. Mais, depuis ces derniers jours, les autorités iraniennes semblent changer de ligne et essaient de communiquer davantage.

L’épidémie a débuté dans la ville de Qom, et on peut effectivement se demander pourquoi le gouvernement iranien n’a pas mis en place tout de suite une quarantaine, de façon à isoler la ville du reste du pays. Il y a deux réponses à cela. Premièrement, Qom est la principale ville religieuse en Iran et on sait que le pouvoir iranien est structurellement divisé entre un gouvernement « démocratique » et un gouvernement « religieux » issu, des pouvoirs du Guide, Ali Khameini. Il était donc sans doute difficile, dans ces conditions, pour l’État iranien de mettre la ville de Qom en quarantaine. Deuxièmement, l’État n’a tout simplement pas les moyens de mettre une ville en quarantaine, c’est-à-dire qu’il n’a pas la possibilité de compenser économiquement et financièrement les secteurs touchés. Les autorités ne veulent pas ou ne peuvent donc pas mettre en place une quarantaine. Cependant, compte tenu de la gravité de la situation – l’Iran, d’après l’OMS, est le troisième pays, dans le monde, le plus affecté par le virus avec 1 7361 personnes touchées – , des voix s’élèvent en Iran, aspirant à une réaction plus forte du gouvernement. Une lettre vient d’être adressée au président de la République, Hassan Rohani, par cinq anciens ministres de la Santé et plusieurs médecins, dans laquelle ces derniers demandent que les autorités limitent les déplacements en Iran. Il faut savoir que ce sont actuellement les fêtes du Nouvel An en Iran – la nouvelle année débute le 20 mars -, et traditionnellement, lors de cette fête, les familles se retrouvent et beaucoup d’Iraniens partent en voyage. Ces retrouvailles familiales et ces voyages pourraient faciliter la transmission du virus…
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