ANALYSES

Pourquoi Trump veut intégrer ses alliés arabes à l’OTAN

Presse
25 janvier 2020
À la suite de l’élimination du général iranien Kassem Soleimani, Donald Trump a exigé une plus grande implication de l’OTAN au Moyen-Orient et a annoncé, le 9 janvier, son ambition d’intégrer les pays arabes à l’Alliance transatlantique. L’organisation deviendrait le « Natome » (fusion des mots « OTAN » et « Moyen-Orient » en anglais) ou OTAN-MO en français. Le projet peut-il se concrétiser ? Contacté par L’Orient-Le Jour, David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’IRIS, en explique les enjeux.

Que veut dire Donald Trump lorsqu’il évoque « une plus grande implication de l’OTAN dans la région du Moyen-Orient  » ?

C’est toute la question. Ce tropisme mutualisant renvoie au discours du président américain prononcé le 21 juin 2017 à Riyad devant les dirigeants du Proche-Orient et du Golfe, dans lequel il affirmait que « l’Amérique ne peut être seule au Moyen-Orient, les États de la région doivent y prendre leur part ». Par la suite, il y a eu l’échec de la Middle East Strategic Alliance (MESA), une sorte d’« OTAN arabe ». Mais Donald Trump ne perd pas de vue son objectif initial.

Ainsi, lors d’un appel téléphonique le 8 janvier 2020, le président américain avait « demandé » au secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, une plus grande implication de l’Alliance dans la région afin qu’elle puisse « contribuer davantage à la stabilité régionale ». De fait, le message de Donald Trump n’a suscité que de brefs commentaires marqués, par-delà la perplexité, par la plus grande prudence du côté européen. « Nous étudierons notre présence et notre manière d’agir, de manière constructive », déclarait ainsi, le 11 janvier, le ministre belge des Affaires étrangères et de la Défense, Philippe Goffin, interrogé dans l’émission Internationales de TV5Monde, en partenariat avec Le Monde.

Comment les Européens voient-ils cet objectif américain d’impliquer davantage l’OTAN au Moyen-Orient ?

Il faut savoir que l’organisation a accordé le statut spécifique de Major non-NATO ally – MNNA (« allié majeur non membre ») – à certains pays de la zone du Proche et Moyen-Orient au sens large (Israël, Égypte, Jordanie, Bahreïn qui est le siège de la 5e flotte de l’US Navy, Koweït). Le Qatar quant à lui – centre de l’USCentcom – est officiellement candidat depuis 2018 à une intégration pleine et entière. Ainsi, faire de ces pays des membres à part entière et non entièrement à part serait loin d’aller de soi. Effectivement, cela engagerait – vis-à-vis des nouveaux entrants potentiels – ceux qui en sont déjà membres en vertu de l’article 5 de la charte du traité qui constitue le noyau dur de la défense collective de l’Alliance. Celui-ci stipule que si un pays de l’OTAN est victime d’une attaque armée, chaque pays membre de l’Alliance devra prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’emploi de la force armée, pour rétablir et assurer sa sécurité. Il est loin d’être assuré que les Européens soient enchantés par cette idée dans la mesure où cela présenterait pour eux le risque de se retrouver trop exposés dans une zone de conflictualité permanente qu’est le Moyen-Orient.

L’idée d’un « Natome » apparaît-elle réaliste ?

L’intention première de l’annonce inopinée faite par le président américain de la création d’un éventuel « Natome » pourrait s’expliquer autant sinon davantage par un mobile financier que géopolitique dans la mesure où ce dernier y verrait une opportunité pour réduire l’investissement financier induit par les engagements militaires des États-Unis dans le monde. Avec le businessman qu’est Donald Trump, il faut toujours en revenir aux questions d’espèces sonnantes et trébuchantes. L’élargissement de l’OTAN au Moyen-Orient serait ainsi susceptible d’accueillir au sein de l’Alliance de nouveaux contributeurs généreusement dotés comme les pétromonarchies.

Mais par-delà les réticences perceptibles des membres occidentaux de l’Alliance, l’une des raisons qui obèrent ce projet Natome, comme pour le projet Middle East Strategic Alliance (MESA), réside sans doute aussi dans l’incapacité de l’administration Trump à mettre en place une stratégie cohérente pour l’ensemble de la région du Moyen-Orient avec la persistance de ces tensions entre le binôme Arabie saoudite-Émirats arabes unis d’un côté et le Qatar de l’autre.

Les pays arabes seraient-ils prêts à rejoindre l’OTAN ?

Les pays arabes, et notamment ces pétromonarchies, pourraient théoriquement contribuer à un hypothétique « Natome » via le CCEAG (Conseil de coopération des États arabes du Golfe). Il s’agit d’une organisation régionale de sécurité créée le 25 mai 1981 – soit moins d’un an après le début de la guerre Iran-Irak débutée le 22 septembre 1980 –, regroupant initialement les six pétromonarchies arabo-musulmanes (essentiellement d’obédience sunnite) – l’Arabie saoudite, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis, le Qatar enfin le sultanat d’Oman – et spécifiquement destinée à répondre à la menace représentée par les velléités iraniennes d’exportation de la révolution islamique. Il s’agit d’une alliance de six monarchies qui font face aux mêmes défis et dont l’unification est largement chapeautée par Washington qui craint une déstabilisation régionale dont pourrait tirer profit l’Iran.

Mais on retrouve pour le « Natome » la même hypothèque que celle pesant sur le projet inabouti de « l’OTAN arabe » intitulé The Middle East Strategic Alliance (MESA) destiné à constituer une alliance d’États du Moyen-Orient afin de contrecarrer ce qui est perçu comme l’expansionnisme de l’Iran dans la région. Enfin, last but not least, la question demeure posée du rôle que pourrait jouer Israël dans une telle architecture sécuritaire régionale face à la priorité de la menace iranienne pour l’ensemble des pays concernés, exception faite peut-être justement du Qatar, même si un accord a récemment été signé, le 9 mars 2018, entre les États-Unis et cet émirat sur un mode d’action standard pour les forces de… l’OTAN au Qatar.
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