ANALYSES

« Les Américains pensent que les talibans ont changé »

Presse
2 octobre 2019
Interview de Karim Pakzad - Le Point

Quelle sera la légitimité du vainqueur de cette élection ?


La participation est tellement faible qu’on peut s’interroger sur la légitimité de cette élection. Celui qui sera élu le sera peut-être avec un million de voix. Pour un pays de 36 millions, c’est un chiffre ridicule. Rien que Kaboul, c’est 10 millions d’habitants !


La peur des talibans a-t-elle incité les gens à rester chez eux ?





La stratégie de la terreur des talibans n’explique pas tout. D’autant que les attentats ont finalement été moins nombreux que lors du précédent scrutin. Il y a une autre raison : la rupture de la population avec sa classe politique. C’est un phénomène très marquant depuis l’arrivée du président Ashraf Ghani. Ce dernier s’est mis une grande partie de l’opinion à dos en raison de son autoritarisme et de ses promesses non tenues. Un exemple : l’électricité. Il s’est engagé à faire de l’Afghanistan un pays exportateur d’électricité. Or Kaboul souffre toujours de coupures. Quant au chef de l’exécutif Abdullah Abdullah, il n’a jamais rien entrepris. Il s’est contenté de quelques déclarations tout au long de ces dernières années.


Par ailleurs, il était difficile de s’y retrouver parmi les listes. Les programmes étaient inexistants. Surtout le sentiment général, c’est que les Américains décideront de tout. Évidemment, une telle situation profite aux talibans qui y voient une victoire.


Les pourparlers interrompus par Donald Trump peuvent-ils reprendre ?


Je pense que les négociations vont reprendre. L’opinion américaine pousse dans ce sens et l’Union européenne aussi. Les onze mois de discussion ont abouti à un texte finalisé qui devait être signé. Et il y figurait le plus important aux yeux des États-Unis : l’engagement des talibans à lutter contre le terrorisme et tous ceux qui s’en prennent aux intérêts américains. Le retrait des troupes y était programmé conformément aux souhaits de l’opinion américaine.


Les talibans se sont même ralliés à l’idée d’un dialogue inter-afghan en rencontrant des opposants, notamment l’ancien président Hamid Karzai.


La Maison-Blanche défend-elle un candidat dans cette élection ?


Les États-Unis se montrent réservés vis-à-vis de l’actuel président. Ils lui reprochent son opposition à toute négociation avec les talibans. Ils lui ont ainsi ôté leur soutien financier en bloquant le versement d’une aide de 60 millions de dollars, il y a 15 jours. Ils ont même rapatrié 100 millions de dollars en invoquant des problèmes de corruption.


Le candidat Abdullah Abdulah leur conviendrait davantage, car celui-ci n’affiche pas autant d’hostilité à l’égard de l’accord négocié.


Assiste-t-on à une scission au sein des talibans, entre ceux qui souhaitent négocier avec les Américains et les autres ?


On ne peut pas parler de scission. Ceux qui négocient avec les Américains représentent l’essentiel des effectifs. On peut estimer à 10 % les partisans d’une ligne dure prêts à poursuivre la lutte. Ils occupent des positions dans l’ouest et le sud-ouest du pays.


Peut-on imaginer que Daech et les talibans radicaux unissent leurs forces  ?


Il ne pourra jamais y avoir d’intérêts communs entre les uns et les autres. Daech milite pour un combat au-delà des frontières. C’est une idéologie qui n’est pas populaire chez les talibans. Ces derniers sont de vrais nationalistes. Ils n’ont jamais plaidé pour des attentats à l’étranger.


Les deux camps vont donc continuer à s’affronter. D’ailleurs, si Daech ne parvient pas à s’implanter dans le nord du pays, c’est parce que les talibans les affaiblissent.


Les talibans ont-ils changé ?


Leur discours semble avoir évolué. Ils reconnaissent avoir fait des erreurs dans le passé. Lors d’une rencontre avec une délégation afghane à Moscou, ils ont même accepté la présence de femmes au sein de cette délégation. Une situation inimaginable auparavant. Les Américains croient également à un changement de comportement.


Sauf que la perception n’est pas la même sur le terrain. Dans les zones qu’ils contrôlent, ils continuent à fixer, eux-mêmes, le programme des écoles publiques.


Quelle est la proportion du territoire qu’ils contrôlent ?


Les autorités afghanes, elles-mêmes, ont donné quelques éléments. Ils auraient la mainmise sur 30 % de la population et 50 % du territoire. Ce qui leur donne un pouvoir considérable, par exemple celui de couper la route du Nord depuis Kaboul. Ils le décident comme bon leur semble. La dernière fois, le blocage a duré une semaine.




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