ANALYSES

La perspective d’une unité palestinienne sans Etat palestinien ?

Tribune
17 octobre 2017


Le nouvel accord scellé entre le Fatah et le Hamas doit être mis en perspective. Il intervient en effet à la fois dans un contexte de reconfiguration de la géopolitique régionale et ponctue une décennie de processus de paix inter-palestinien caractérisé par une série d’accords négociés, signés, mais inappliqués. C’est pourquoi la prudence est de mise à l’égard d’une nouvelle séquence de réconciliation nationale, certes spectaculaire, mais qui demeure particulièrement opaque et complexe. Surtout, si l’évènement contribue à concevoir à nouveau l’idée d’unité palestinienne, il ne renforce pas pour autant l’hypothèse d’un Etat palestinien. Un paradoxe dont la responsabilité première revient à la position du gouvernement israélien.

La désunion palestinienne ne date pas de la mort de Yasser Arafat en 2005, mais elle a pris une dimension nouvelle, plus aigue et conflictuelle, avec le vide politique provoqué par la disparition du leader historique de la cause palestinienne. Au-delà des clivages idéologiques et stratégiques qui se cristallisent alors autour du processus de paix avec Israël, la confrontation entre le Fatah (entité de base de l’OLP et de l’Autorité palestinienne) et le Hamas (principal mouvement islamiste palestinien) a pris un aspect militaire et territorial après le succès du parti islamiste aux élections législatives de 2006. La montée de la tension – en Cisjordanie mais surtout à Gaza – tout-au-long de cette période charnière des années 2006-2007 a débouché sur des affrontements causant des centaines de morts, malgré la signature d’une série de cessez-le-feu. Si l’accord conclu en février 2007 à la Mecque sous l’égide de l’Arabie saoudite a permis la formation d’un gouvernement d’union nationale dirigé par Ismaël Hanyeh, l’organe est dissous en juin de la même année par le Président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Une décision qui provoque un coup de force du Hamas, qui prend le contrôle de Gaza en juin 2007. L’Autorité palestinienne est expulsée d’une portion du territoire de l’Etat qu’elle était censée fonder. La division politique et territoriale des Palestiniens est scellée : le Fatah (à la tête d’une Autorité palestinienne basée en Cisjordanie (territoire encore largement occupé par Israël), tandis que le Hamas contrôle la bande de Gaza.
Israël n’est pas simple spectateur du jeu des acteurs palestiniens. Les gouvernements successifs ont continué d’identifier le Hamas comme l’ennemi stratégique, tout en sapant la légitimité et la capacité d’action de l’Autorité palestinienne. Ainsi, au lendemain de la prestation de serment du nouveau parlement palestinien dominé par le Hamas, le gouvernement israélien a cessé (en guise de mesure de rétorsion) de verser les taxes dues à l’Autorité palestinienne, correspondant au produit de la TVA et aux droits de douane prélevés sur les produits importés dans les territoires palestiniens et transitant par Israël.

En 2011, le souffle des soulèvements populaires dans le monde arabe a encouragé le processus de réconciliation inter-palestinienne. En Égypte, la chute du raïs et allié d’Israël, Hosni Moubarak, suivie de l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir ont permis de desserrer le blocus de Gaza. L’un des premiers actes du nouveau président Morsi, démocratiquement élu et issu des Frères musulmans, a consisté à ouvrir le poste-frontière de Rafah, seul accès terrestre de la bande de Gaza à ne pas être contrôlé par Israël. Le geste humanitaire et symbolique consacre l’alliance politique entre le Hamas palestinien et les Frères musulmans égyptiens. La nouvelle donne au Caire a permis également le rapprochement du Fatah et du Hamas, qui ont scellé un accord de réconciliation au Caire, le 4 mai 2011, sous l’égide des services de renseignement égyptiens. L’accord du Caire prévoyait la formation d’un gouvernement d’union chargé de préparer des élections législatives et présidentielles palestiniennes l’année suivante, ainsi que la réintégration des forces du Fatah à Gaza, et des membres du Hamas en Cisjordanie. Ce plan est resté lettre-morte, butant notamment sur les modalités de son application, et sur la question de la direction politique du gouvernement intérimaire. Khaled Mechaal (alors chef en exil du Hamas) et Mahmoud Abbas étaient parvenus finalement à un compromis, signé en février 2012 à Doha, au Qatar, prévoyant que le président de l’Autorité palestinienne prendrait aussi la tête du gouvernement de « consensus national » composé de technocrates, en vue notamment de préparer des élections législatives et présidentielle. Celles-ci n’ont jamais eu lieu, malgré cet engagement et l’expiration du mandat du président de l’Autorité palestinienne. Si en juin 2014, le gouvernement de consensus national prête serment, son entrée en fonction n’a pas de portée effective. Le Hamas n’a pas cédé le contrôle de la bande de Gaza, territoire qui continue ainsi d’échapper à l’Autorité palestinienne.

Plus de trois ans plus tard, le retour symbolique à Gaza, les 2 et 3 octobre derniers, du gouvernement palestinien de Rami Hamdallah, puis la signature au Caire de l’accord entre le Hamas et le Fatah marquent le dernier acte en date du processus de paix inter-palestinien. Largement soutenu par le peuple palestinien, la conclusion de cet accord relève moins du volontarisme des deux parties, que de leur pragmatisme face à un contexte particulièrement contraignant.
Affaibli par trois guerres successives contre Israël et les conséquences économiques, sociales et humanitaires du blocus israélo-égyptien (pauvreté, chômage massif, pénuries des besoins/matières primaires/premières), sous tension depuis la décision de l’Autorité palestinienne de l’arrêt du paiement de la facture d’électricité gazaouie à Israël, isolé sur le plan régional/international depuis la chute des Frères musulmans en Egypte et le retrait du Qatar, le Hamas – dirigé désormais par Ismaël Haniyeh, mais marqué par l’influence grandissante de Yahya Sinouar – trouve dans cet accord une manière de sortir de l’impasse dans laquelle il se trouve, avec notamment la perspective de réintégrer l’OLP et les institutions de l’Autorité palestinienne. De son côté, cette dernière est en crise de légitimité compte tenu de l’échec du processus de paix avec Israël et de l’expiration des mandats électifs de son propre président. L’accord devrait lui permettre de reprendre le contrôle politique, administratif et sécuritaire de la bande de Gaza et sortir ainsi d’un statu quo qui ne correspond ni à la volonté du peuple palestinien, ni à l’intérêt d’un acteur régional comme l’Egypte.
La réconciliation nationale qui se joue actuellement ne s’inscrit pas dans un huis clos inter-palestinien : l’Égypte assure en effet un rôle moteur en faveur de la réconciliation, y compris via l’intermédiaire de Mohamed Darlan (lui-même soutenu par les dirigeants des Emirats Arabes Unis). Un investissement égyptien qui n’est pas guidé par un quelconque idéal panarabe, mais qui procède de sa volonté de revenir en force dans le jeu diplomatique régional. Sommé de prendre ses distances à l’égard des Frères musulmans, le Hamas est ainsi appelé à jouer un rôle de soutien de l’Egypte dans la lutte contre les djihadistes au Sinaï.

L’accord entre le Hamas et le Fatah envoie un signe politique fort, mais demeure relativement modeste quant à son contenu, puisqu’il porte essentiellement sur la gestion administrative de Gaza. Le processus n’est pas terminé. Une nouvelle réunion est d’ores-et-déjà prévue au Caire, le 21 novembre, pour traiter de certains points essentiels. L’enjeu se situe en particulier dans l’organisation de nouvelles élections générales et la restructuration de l’Autorité palestinienne (avec l’intégration du personnel civil et militaire du Hamas, le désarmement de sa branche militaire qui compte entre 20 000 et 25 000 hommes, ainsi qu’un arsenal d’armes non négligeable…).

L’accélération du processus de paix inter-palestinien contraste avec le blocage total du « processus de paix » israélo-palestinien. Ce décalage tend même à se renforcer, car l’unité palestinienne – qui reste à vérifier – s’avère être un obstacle à la reprise des négociations avec Israël. L’Etat israélien qui aime à répéter l’absence de partenaire ou interlocuteur palestinien viable, se trouverait conforter dans sa stratégie en cas d’intégration du Hamas au sein de l’Autorité palestinienne. Pourtant, le mouvement islamiste a expurgé sa charte de ses relents antisémites et tend désormais à reconnaître l’existence de l’Etat d’Israël – sur la base des frontières de 1967 – et à privilégier la résistance politique (plutôt que le recours à la violence militaire ou terroriste). Une mue insuffisante encore pour changer de statut international, celui essentiellement de mouvement de nature terroriste et perçu comme tel par les Etats-Unis et les Européens. Pourtant, la paix israélo-palestinienne se fera (aussi) au prix d’une normalisation du Hamas, à l’image de celle dont avait bénéficié l’OLP au tournant des années 1980-1990… Refuser cette option, n’est-ce pas une manière implicite de neutraliser toute perspective de création d’un Etat palestinien ?
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