ANALYSES

Réchauffement climatique : le point sur ce qui est établi et ce qui ne l’est pas

Presse
27 septembre 2013
Certains nient l’existence même du réchauffement. Quelles sont aujourd’hui les grandes polémiques autour du changement climatique ?



Le réchauffement climatique est globalement admis. Les réserves concernent davantage son origine anthropique. Certains courants avancent la thèse de son origine naturelle à travers l’alternance des périodes de réchauffement/refroidissement qui jalonnent l’histoire de la Terre, et en déduisent que l’homme n’en est aucunement responsable. Beaucoup de scientifiques, comme Claude Allègre en France, dénoncent la rigueur et le sérieux des travaux du GIEC dont la qualité n’est appréciable que si l’on maîtrise des disciplines telles la climatologie ou la glaciologie. De même, la question de la comptabilisation des émissions fait débat. Pour l’heure, les Etats sont chargés de fournir les chiffres de leurs émissions, ce qui n’est pas satisfaisant. Dernier élément et pas des moindres, le traitement de l’incertitude par le GIEC qui a nourri les discours climato-sceptiques en se montrant parfois mal à l’aise vis-à-vis des limites actuelles de la modélisation et de la prospective climatique aux horizons mentionnés dans les rapports.


Qui sont ceux à l’origine de ces polémiques ? Quel est leur profil ?



Je crois qu’il faut davantage employer le terme "débat" qui évite la stigmatisation et la diabolisation, qui provoquent souvent des effets contraires à ceux recherchés. En effet, il faut bien prendre en considération la thèse très répandue dans les pays émergents et les pays en développement qui soutient que le changement climatique est une invention de l’Occident destiné à nuire à leur croissance économique qui commence à chahuter la domination que le monde développé a exercé pendant des siècles.




Le climato-scepticisme n’est toutefois pas l’apanage des seuls pays en développement. Les plus fervents opposants à la thèse du réchauffement climatique et à toute imposition de disposition contraignante limitant les émissions de gaz à effet de serre sont souvent liés aux lobbies des industries polluantes (pétrochimie, hydrocarbures), ce qui était par exemple le cas de nombre d’élus américains venus assister à la conférence de Copenhague et représentants les Etats de la Rust Belt, ensemble d’Etats dont l’économie – et donc l’électorat – est essentiellement tournée vers ce type d’activités. Ce sont des réflexes reposant sur des réalités qu’il faut prendre en compte lorsque l’on construit un argumentaire et une stratégie de négociations.


Quels sont leurs arguments ? Certains de ces arguments sont-ils recevables ?



Les climatosceptiques s’appuient sur d’autres travaux scientifiques dénigrant ceux du GIEC, insistent sur la marge d’incertitude et sont en général les adversaires du principe de précaution. Cela permet ensuite d’évoquer les impacts économiques négatifs de toute politique contraignante construite sur des incertitudes (chômage, abandon de compétences) pour enfin évoquer le différentiel de compétitivité et les effets néfastes liés au fait que l’ensemble des Etats du monde ne prendra jamais simultanément des encagements conformes aux recommandations du GIEC. Les Etats-Unis et la Chine se renvoient ainsi la balle depuis 2009, chacun invoquant son refus de s’engager sur la voie des réductions d’émissions régies par un traité international type Kyoto tant que l’autre n’aura pas décidé de l’emprunter également [1]. Cela ne veut toutefois pas dire que ces Etats ne développement aucune politique de réduction des émissions au niveau national ou fédéral.


Existe-t-il des points de consensus entre pro et sceptiques du réchauffement ? Lesquels ?



Le seul consensus est peut être sur le fait qu’il existe des incertitudes mais elles ne sont ni interprétées ni justifiées de la même façon. Chaque camp reconnait la difficulté de l’exercice de modélisation mais en tire des leçons différentes, que l’on coiffera selon l’envie de l’adjectif alarmiste ou sceptique.


Comment faire la part des choses entre les éléments dont nous sommes certains et ceux sur lesquels le doute persiste ?



Il est difficile de répondre à cette question. On a tendance à occulter la part d’incertitude parce que toute science non humaine – comme la climatologie, la glaciologie ou la météorologie – à valeur de certitude et réputation d’infaillibilité. Ce n’est jamais aussi simple. L’aspect scientifique et technique de la problématique empêche de la concevoir dans sa globalité et sa complexité. Prenons un exemple : certains sont convaincus que pour relancer la croissance, il faut pratiquer une politique de l’offre, d’autres considèrent qu’il serait plus efficace d’agir sur la demande, et ils ne sont jamais d’accord. Bien que l’économie fasse partie des sciences humaines, la part d’incertitude des modèles qu’elle véhicule me semble intéressante dans cette comparaison.


La question du réchauffement est-elle finalement victime du dogmatisme à la fois des pro et des anti ? Le débat est-il suffisamment ouvert sur la question ?



C’est le cas de tout débat, qui est toujours altéré ou biaisé par la mauvaise fois, le dogmatisme et les raccourcis qui conduisent à présenter les choses de manière binaire. Concernant l’ouverture, je partage le point de vue d’Eric Mollard, sociologue de l’environnement, qui énonce dans l’un de ses articles la nécessité pour le GIEC de se montrer plus attentif à la critique et de ne pas chercher à dissimuler ou amoindrir la part d’incertitude de ses travaux car cela se retourne toujours contre les positions qu’il défend. Le GIEC doit aussi faire un travail intelligent de vulgarisation et de sensibilisation des individus, et non se contenter de répondre aux scientifiques climato-sceptiques via des rapports d’expertise qui ne peuvent avoir de résonance auprès du public. Claude Allègre parle aux gens, le GIEC aux experts, c’est là une erreur stratégique de communication. 


[1] Voir Bastien ALEX, « Négociations climatiques internationales : l’impasse ou le sursaut », La Revue internationale et stratégique, n° 90, Armand Colin/IRIS Editions, été 2013.

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