ANALYSES

Conférence Paris Climat 2015 : un enjeu majeur pour la diplomatie française ?

Interview
3 septembre 2014
Le point de vue de Bastien Alex
A l’occasion de la conférence des Ambassadeurs de la semaine dernière, Laurent Fabius a mentionné la Conférence de Paris sur le climat (COP21) prévue en décembre 2015, comme un des objectifs majeurs du quinquennat diplomatique. En quoi celle-ci est-elle importante pour la diplomatie française ?

La Conférence Climat de 2015 (ou COP21) est importante pour la diplomatie française pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le climat est un des grands enjeux de la scène internationale. Les négociations climatiques sont un véritable laboratoire à la fois du multilatéralisme et des rapports Nord-Sud. Cette conférence est également une façon pour la France de se positionner sur cet enjeu du réchauffement climatique : nous faisons en effet partie des bon élèves en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, tout comme l’Union européenne qui a atteint les objectifs prévus par le protocole de Kyoto. C’est également une façon de montrer que malgré la crise qu’elle traverse, la France est encore capable, à l’image des interventions au Mali et en Centrafrique, d’initiatives diplomatiques sur un dossier de politique internationale important. On peut ainsi voir son engagement sur le thème du climat comme la preuve de sa volonté de prendre ses responsabilités sur la scène internationale. Cette attitude volontaire ne pourra lui être reprochée, même en cas d’échec du sommet.

Quels seront les principaux enjeux de cette Conférence Climat ?

Les enjeux de la Conférence climat sont sensiblement les mêmes depuis la conférence de 2009 à Copenhague, que l’on rejouera en quelque sorte en 2015. Il faut que les parties réussissent à se mettre d’accord sur un nouvel accord global juridiquement contraignant ; ce qui implique que l’on modifie le système du protocole de Kyoto (reconduit à Doha en 2012), qui divise actuellement les Etats entre deux catégories : ceux qui sont soumis à des réductions des émissions de gaz à effet de serre (les pays du Nord, dits pays développés) et ceux qui en sont exemptés (les pays en développement), au nom du principe de responsabilité commune mais différenciée. L’enjeu est désormais de mettre à jour ce principe. En effet, lorsqu’il a été énoncé, l’essor des pays émergents n’avait pas suffisamment été anticipé. Or, aujourd’hui, ce sont les émissions de ces pays qui connaissent les hausses les plus importantes (Brésil, Inde, Chine, Iran, Indonésie, Arabie Saoudite, etc.).
L’idée est de refondre ce système et d’affirmer qu’il est fondamental que chacun fasse des efforts. Cela passe notamment par la définition d’objectifs chiffrés, contraignants pour tout le monde, qui soient suffisamment ambitieux pour être efficaces mais aussi par la menace de sanctions dans le cas où ces objectifs ne seraient pas atteints. Rappelons que c’est pour éviter des sanctions financières que le Canada s’est retiré de Kyoto en 2011.
De nombreuses interrogations subsistent sur la teneur de l’accord, sur son caractère ambitieux, sur le nombre d’Etats signataires, sur les modalités de ratification du traité (lors du protocole de Kyoto, on avait par exemple exigé la ratification de 55 pays représentant 55% des émissions globales) et, au final sur la capacité de la Conférence à organiser la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre au niveau international.
L’échec de la conférence du Bourget en 2015 risquerait en effet de sonner le glas du « multilatéralisme climatique ». Certes, les Etats pourront continuer à mener des politiques de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (comme le font déjà la Chine et les Etats-Unis), que ce soit au niveau des régions (ou Etats fédérés) ou bien même des collectivités locales, mais tout mécanisme à l’échelon international serait vraisemblablement impossible.
Parallèlement, se posera en cas d’échec la question du financement de l’adaptation des pays fortement exposés aux conséquences du dérèglement climatique et ne disposant pas des moyens financiers pour y faire face. Si l’on échoue à se mettre d’accord sur un accord global contraignant sur les objectifs de réduction, il apparaît peu vraisemblable que l’on arrive à se mettre d’accord sur les volumes financiers à attribuer pour aider les pays les plus exposés (Bangladesh, petits Etats insulaires) et sur le financement du Fonds Vert pour le Climat, dont la dotation n’est pas encore assurée.

A l’aune de ces constats, l’objectif visant à contenir le réchauffement en dessous de 2°C à horizon 2100 vous semble-t-il réaliste ?

Le scepticisme est de plus en plus de mise au sujet de notre capacité à respecter cet engagement des 2°C. En effet, pour réussir à se conformer à cet engagement, il serait nécessaire de mettre en place des objectifs extrêmement contraignants pour tous les Etats. Les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) indiquent d’ailleurs que nous suivons depuis des années la tendance du scénario le plus émissif qui ne nous permettra pas de limiter le réchauffement à 2°C.
Le jeu des négociations entre les acteurs sera quant à lui particulièrement intéressant à analyser. Rappelons tout d’abord que c’est la capacité de la Chine et des Etats-Unis à s’entendre (pour bloquer les négociations) qui avait conduit à l’échec à Copenhague et que cette capacité représente encore l’une des inconnues des négociations à venir. La faculté de l’Europe, qui est le bon élève, à fédérer autour d’elle les pays en développement (G77) et les pays membres de l’AOSIS (Alliance des Petits Etats Insulaires) sera centrale. De leur côté, les grands émergents essaient de remettre dans leur camp les pays en développement en pointant du doigt les atermoiements du Nord sur le déblocage des fonds et leur droit au développement
Du côté des Etats-Unis, la question de la ratification est centrale car si Obama est plus volontaire que ses prédécesseurs, que les militaires américains sont de plus en plus sensibles aux risques que soulève le changement climatique et que les positions commencent à évoluer chez certains Républicains (un parti traditionnellement plutôt climato-sceptique), le soutien du Sénat lui sera indispensable. Dans le cas contraire le traité ne sera pas ratifié. Un traité sur les gaz à effet de serre sans l’accord des Etats-Unis n’aurait alors que peu de chance de rallier les pays émergents. Et, inversement, si la Chine refuse de s’engager, il apparaît peu vraisemblable que les Etats-Unis ratifient le traité…
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