ANALYSES

« Le carburant coûtera encore plus cher à l’avenir »

Presse
16 novembre 2018
Interview de Francis Perrin - L'Express
Comment expliquez-vous cette guerre de communication entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite ?

Evidemment, les enjeux économiques financiers, budgétaires, industriels du pétrole sont très importants. Mais dans cette guerre des nerfs, les ressorts politiques sont essentiels. Notamment pour Donald Trump. Cela fait des mois que le président américain multiplie les déclarations en direction des pays de l’Opep, et notamment de l’Arabie saoudite, demandant à ce que le royaume mette davantage de pétrole sur le marché pour faire baisser les prix. Car il avait dans son viseur les élections de mi-mandat et il souhaitait absolument que les prix de l’essence baissent pour caresser dans le sens du poil ses électeurs. Cette échéance électorale passée, il maintient encore la pression. Car il sait que la guerre économique déclarée contre l’Iran – avec le retour des sanctions- risque de déstabiliser le marché pétrolier. L’Iran, c’est 2,5 millions de barils par jour et les exportations du pays ont déjà plongé de 40% depuis avril. Sachant que la production du Venezuela est quasiment à l’arrêt, les craintes de pénuries et donc de poursuite de la hausse des cours sont fortes. Voilà pourquoi Donald Trump ne cesse de demander aux ennemis de l’Iran, en tête l’Arabie saoudite, de livrer davantage d’or noir.

Dans ce jeu géopolitique, quelle est la stratégie de l’Arabie saoudite ?

L’Arabie saoudite ne cherche pas à déclencher un choc pétrolier. Car un tel big bang risquerait d’accélérer la transition énergétique. Au contraire, elle veut « fidéliser » ses clients pour qu’ils continuent de consommer du pétrole le plus longtemps possible. En clair, elle cherche à tout prix à maintenir la dépendance. Ce qui signifie que les cours du pétrole ne doivent pas grimper à des niveaux stratosphériques….tout en étant suffisamment élevés pour garnir les caisses de l’Etat. L’Arabie saoudite est donc sur une ligne de crête.

Vous affirmez pourtant qu’à moyen terme, les cours du pétrole vont inévitablement progresser ?

Oui, essentiellement pour des raisons industrielles et techniques. C’est d’ailleurs ce que vient de confirmer l’Agence Internationale de l’énergie dans ses dernières prévisions. La période 2014-2016 pendant laquelle les prix du pétrole sont tombés très bas a provoqué un véritable effondrement des investissements d’exploration des compagnies pétrolières. Ces derniers n’ont guère remonté depuis. Or, malgré le développement des véhicules électriques, la demande d’or noir augmente toujours chaque année. Le pétrole reste omniprésent pour le transport aérien, maritime et dans l’industrie chimique (plastique notamment). Le pic de consommation mondiale n’interviendra donc pas avant les années 2035-2040 dans le meilleur des cas. Or l’offre risque de ne pas suivre, ce qui veut bien dire un déséquilibre structurel du marché pétrolier et une hausse durable des cours.

Concrètement, pour les automobilistes, ça veut dire quoi ?

Qu’ils payeront forcément à l’avenir leur carburants plus chers. Forcément ! Pour deux raisons. La première, je viens de l’expliquer : les cours du pétrole vont inexorablement progresser. Deuxième explication : le poids des taxes notamment écologiques avec la prise en compte du prix du carbone vont, elles aussi, progresser si on veut réussir la transition écologique. Les automobilistes devront s’y habituer.
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