ANALYSES

Rapport « Lancet Countdown » sur la santé et le changement climatique : quels enseignements ?

Interview
2 février 2018
Le point de vue de Anne Sénéquier


Le rapport « Lancet Countdown » sur la santé et le changement climatique est paru fin 2017. Publié par la prestigieuse revue médicale The Lancet, le rapport analyse les progrès dans le domaine de la santé humaine et du changement climatique, ainsi que leurs implications dans les engagements pris par les gouvernements dans le cadre l’Accord de Paris sur le climat. Anne Sénéquier, chercheuse associée à l’IRIS, revient sur ses enseignements.

Dans quel cadre de réflexion et d’action se situe le rapport du Lancet Countdown sur le « Compte à rebours santé et changement climatique », paru au mois d’octobre dernier ?

Le compte à rebours du Lancet suit les progrès dans le domaine de la santé humaine et du changement climatique, ainsi que leurs implications dans les engagements pris par les gouvernements dans le cadre de l’Accord de Paris sur le climat en 2016. Cela fait suite à une commission 2015 du Lancet qui laissait entrevoir que le changement climatique annonçait une bonne et une mauvaise nouvelle en termes de santé. La mauvaise est qu’il met en péril les progrès faits en termes de santé de ces 50 dernières années, et la bonne, c’est que cette thématique peut être une formidable opportunité pour travailler enfin de manière globale et transverse, et ainsi démultipliée sur les effets positifs sur la santé mondiale.

En intégrant les enjeux climatiques et environnementaux à l’ensemble des problématiques actuelles (développement, urbanisation, disparités économiques et sociales, sécurité alimentaire, conflits) le Lancet Countdown ne s’inscrit-il pas dans une démarche inverse à celles des instances onusiennes qui tendent à faire du climat et de l’environnement un domaine d’action sectoriel ?

En effet, le Lancet Countdown met en avant le principe de transversalité, et c’est une très bonne chose, dans la mesure où elle est indispensable à la réussite du challenge qui lie le changement climatique à la santé. Cette transversalité, on la retrouve aussi dans de nombreuses initiatives qui ne sont pas forcément ciblées santé, mais qui, au final, ont un impact positif sur la santé, comme le C40 qui est un regroupement des grandes métropoles mondiales qui cherchent à diminuer l’émission de carbone dans les zones urbaines. En ce qui concerne l’ONU, elle souffre, il est vrai de la même problématique que la santé elle-même, c’est-à-dire la spécialisation… L’OMS s’occupe de la santé, l’UNESCO de la biodiversité, la FAO de l’agriculture, « ONU-Environnement » de la pollution…, chacune suivant son propre agenda c’est vrai, mais tout n’est pas noir. Le 10 janvier 2018, l’OMS et « ONU-Environnement » ont signé un partenariat avec pour objectif de réduire les 12,6 millions de décès annuels attribuables à la pollution et d’avoir un impact sur 6 des 17 ODD (objectifs du développement durable), dont l’objectif 3 : santé & bien-être. En soit, ce n’est pas la première collaboration, mais la plus importante depuis 15 ans.

D’autre part, et depuis 2015, l’OMS participe à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), un groupe de travail avec le double objectif d’appuyer et promouvoir les politiques qui lient le climat et la santé. Ils y développent des profils de pays détaillés pour évaluer les risques, et donner des conseils spécifiques aux pays sur la façon dont ils peuvent s’adapter aux effets des changements climatiques sur la santé et les atténuer.

Plus récemment, la plateforme web « Local2030 » permet de mettre en connexion les différentes agences onusiennes et leurs partenaires, sur les thématiques des ODD, afin d’améliorer la coordination au niveau local. Il reste du travail à faire, mais disons qu’on a commencé à se rendre compte du problème, ce qui n’est déjà pas mal.

Quels sont les enseignements de ce rapport ?  Sont-ils en mesure d’influer sur les décideurs publics et privés au niveau des actions à mener face au changement climatique ?

Ce rapport met en évidence l’évolution de la situation par rapport à 2015, date à laquelle le Lancet avait établi une commission sur le lien santé/changement climatique. Il y a avait eu 10 recommandations ; ce rapport est un mi-chemin jusqu’à 2020, et met en évidence les avancées et les nombreux efforts qui restent à faire.

Dans les bonnes nouvelles, on a la recommandation n°3 : « Sortir de l’énergie générée par le charbon ». En 2015, il y a eu en effet plus d’énergie d’origine renouvelable que d’énergie fossile qui a été ajoutée au mix de l’énergie globale. D’autre part, on note en 2016, une diminution des investissements en énergie liée au charbon, alors qu’ils étaient en constante évolution depuis 2006.

Par ailleurs, l’intérêt scientifique du lien changement climatique/santé a nettement augmenté, puisque l’on a un nombre d’articles scientifiques qui a triplé, ce qui faisait partie des recommandations. C’est également le cas pour l’encouragement d’une transition vers des villes bas carbone, le rapport évoque une stagnation sur cette thématique ces 2 dernières décennies, tout en étant optimiste du fait de la diminution du prix des voitures électriques ces 2 dernières années. Cependant,la voiture électrique  semble loin d’être la solution pour des villes bas carbone… Peut-être est-ce une transition nécessaire pour finalement arriver à cet idéal urbain où l’on vit à 20 min de son travail, et où l’on pourrait se déplacer à vélo, à pied, et retrouver cette activité physique quotidienne nécessaire à notre santé.

Dans les mauvaises nouvelles, le rapport évoque un financement trop faible envers la résilience des systèmes de santé, puisqu’il ne représente que 4,63% du montant total dépensé en 2017 pour l’adaptation au changement climatique.

La force de ce rapport est d’avoir une constitution pluridisciplinaire et pluri-académique associée à des organisations intergouvernementales… et de représenter tous les continents. C’est cet enracinement et un réseau tout aussi large qui permet d’être entendu et d’avoir un véritable écho au niveau des décideurs. D’autant plus que les membres du board du Lancet Planetary health illustrent également cette pluridisciplinarité et compte parmi ses membres le Dr Sania Nishtar qui vient d’être nommée co-directrice de la « High level Commission on Non-communicable disease » à l’OMS. Considérant que la lutte contre le changement climatique peut (à travers des politiques pertinentes) avoir un effet également sur la lutte contre les pathologies chroniques, il y a fort à parier que le Dr Nishtar saura relayer les travaux du Lancet. Tout comme Catherine Kyobutungi, directrice du centre africain de recherche sur la population et santé à Nairobi, et Anthony Capon, l’ancien directeur de l’institut de santé mondiale à l’Université des Nations Unies… et ainsi de suite. Donc, oui, on peut être assez optimiste sur la capacité du Lancet à influencer les décideurs en matière de santé, c’est d’ailleurs l’une de ces forces. Cependant, il faut une volonté commune et partagée pour que l’on puisse arriver à limiter le changement climatique. Alors, influencer les décideurs publics et privés oui, mais j’aurais tendance à croire que nous, citoyens lambda, sommes sur le devant de la scène pour véritablement changer les lignes, sans devoir attendre que les décideurs décident. C’est d’ailleurs une des constatations du rapport… une prise de conscience et une action trop lente de la part des décideurs.
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