ANALYSES

Une COP de plus et après ?

Tribune
23 novembre 2017


Samedi dernier s’achevait après deux semaines de négociations la vingt-troisième COP à Bonn en Allemagne, sous la présidence des Fidji. Les COP ou Conférences des Parties ont été imaginées à Rio en 1992 lors du premier sommet de la Terre organisé par les Nations unies afin de lutter contre le changement climatique. La première s’est tenue à Berlin en 1995 et c’est à Kyoto en 1997, lors de la COP3, que fut signé le Protocole de Kyoto. Il prévoyait alors une réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre de 5% par rapport à son niveau de 1990, jugées responsables du réchauffement climatique. 27 ans plus tard, ces émissions sont, après une courte pause, reparties à la hausse en 2017 et elles représentent à présent une hausse de 58% pour les émissions de CO2 par rapport à la valeur de référence de 1990. Nous sommes donc loin, très loin, des réductions escomptées en 1997 et ce malgré ces nombreuses COP organisées depuis tant d’années. Que s’est-il passé ?

Pourquoi un tel échec ? Pourquoi ni les COP, ni les différentes initiatives individuelles ou collectives ne permettent-elles pas d’inverser la tendance malgré une prise de conscience croissante (je ne suis pas sûre qu’on puisse parler encore de prise de conscience générale malheureusement) partout dans le monde, en témoignent le nombre d’ONG engagées sur ces questions mais aussi de citoyens ou d’entreprises ? Beaucoup d’arguments ont été avancés depuis des années pour expliquer cela : le rattrapage économique des pays émergents, la mondialisation et le développement des transports internationaux, la surconsommation, le gaspillage, etc. Deux voies ont été explorées pour lutter : la sobriété et le progrès technique. La sobriété doit permettre de remplacer des fonctionnements et modes de vie fondés sur le gaspillage des ressources (et donc des rejets de CO2) par des solutions moins polluantes, l’épuisable par du renouvelable, etc. Les progrès accompagnent ces évolutions en donnant des solutions pour aller dans ce sens et amplifier les résultats mais, pour le moment, tout cela est resté très insuffisant au regard du défi et les émissions n’ont fait qu’augmenter. Pourquoi ?



D’abord, il y a nos modes de vie. Prenons l’exemple de la France dont on nous explique depuis des décennies que le nucléaire a permis de réduire ces émissions. C’est vrai mais force est de constater que la désindustrialisation a également eu un impact important. On peut ainsi constater sur le graphique ci-dessus que dans le cas de la France, les émissions de l’industrie manufacturière ou de l’énergie ont plutôt diminué depuis 1990, l’agriculture est restée assez stable mais le transport, le traitement des déchets, le tertiaire, le commerce et le résidentiel ont fortement augmenté. Preuve s’il en était que les changements opérés ont été trop limités pour véritablement permettre ne serait-ce que de stabiliser la situation au niveau mondial.

En 1992, lors du premier sommet de la Terre, Maurice Strong, Secrétaire général de la conférence et membre fondateur du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) expliquait déjà : « Les riches doivent montrer l’exemple et contrôler leur développement, réduire de façon substantielle leur impact sur l’environnement laissant de l’espace pour que les pays en voie de développement puissent vivre. Le gâchis et la destruction générés par leur mode de vie ne peuvent être maintenus qu’au prix de la vie et de l’existence des pauvres et de la nature. » Il n’a vraisemblablement pas été entendu ! Ils l’ont en partie fait puisque les émissions des pays européens ont diminué de plus de 20% mais, attention, ce chiffre reste en trompe-l’œil et est en grande partie la conséquence de la désindustrialisation, en particulier dans les pays de l’Est de l’Europe où l’industrie y était particulièrement polluante avant 1990 (les émissions de ces pays ont d’ailleurs diminué de 34% entre 1990 et 2014. L’évolution de nos habitudes reste insuffisante !

Ensuite, il y a la croissance économique qui est toujours plus rapide partout dans le monde et aucun progrès technologique n’a encore permis de réduire suffisamment les émissions pour compenser une telle dynamique. La question de savoir si l’on doit réduire cette croissance, voire pour certains penser un monde en décroissance reste un véritable tabou des COP et en général des négociations sur le changement climatique. Comment expliquer à un électeur potentiel que vous négociez pour limiter son accès à la consommation ? Or la lutte contre le réchauffement climatique suppose une véritable évolution, pour ne pas dire révolution, de nos modes de consommation et d’épargne.



Ce deuxième graphique qui concerne les Etats-Unis, en est une bonne illustration. La croissance américaine est représentée par le real GDP et on ne peut que constater que les émissions par dollars produit diminuent. L’efficacité énergétique s’améliore donc. Même les émissions par habitant se stabilisent mais la croissance est trop forte pour que cela soit suffisant et, aux Etats-Unis sur la période 1990/2014, les émissions ont augmenté de 7%. Ce qui reste insuffisant, surtout pour le pays générant prés du quart des émissions mondiales mais somme toute relativement sous contrôle. Or, pour les pays émergents, l’augmentation des émissions est quasi exponentielle (+337% pour la Chine, +258% pour l’Inde, +127% pour la Corée du Sud et + 194% pour l’Arabie Saoudite). Et il reste encore beaucoup de pays qui pourraient s’engager à l’avenir sur la même voie. Surtout que, pour le moment, tous ces pays (hormis l’Arabie Saoudite) sont encore loin d’émettre autant de CO2 qu’un consommateur américain (19,6 tonnes de CO2 par habitant) …

Une bonne nouvelle toutefois, le consommateur européen est devenu relativement sobre et les émissions par habitant s’élèvent à 6,7 tonnes. Seule l’Allemagne avec 9,3 tonnes est le mauvais élève de la classe (la France est à 5, en partie grâce au maintien dans le nucléaire !) mais cela prouve, s’il en est, que les solutions de la sobriété existent. Il serait donc essentiel de les diffuser mais cela demande d’investir d’importants moyens… dans les pays émergents et en développement. Or, à la COP 23, ce week-end à Bonn, les manques de financements et d’engagements financiers ont été criants. Seul point positif, s’il fallait en trouver un : les Etats se sont mis d’accord pour faire un point en 2018 sur l’avancée de l’enveloppe de 100 milliards de dollars par an, promise par les pays riches à partir de 2020 lors de la COP21 qui avait abouti à l’accord de Paris.

Le protocole de Kyoto avait mis en place un mécanisme intelligent qui incitait les entreprises du Nord à investir dans des projets plus respectueux de l’environnement dans les pays du Sud. Cela n’a pas fonctionné car les incitations n’étaient pas suffisantes et pourtant, ces transferts sont indispensables. Tous les pays aspirent au développement économique et c’est légitime mais ce développement ne pourra se faire dans les mêmes conditions que par le passé. Pour cela, les moyens à investir seront bien plus conséquents et reposeront sur des technologies mal maîtrisées par les pays du Sud. Aujourd’hui, la finance verte se développe et l’Union européenne a même mis en place un groupe d’experts pour faire des propositions en ce sens. Il ne faudra ainsi pas oublier que l’essentiel des besoins de financements en matière d’adaptation et d’atténuation sont au Sud !
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