ANALYSES

La Russie et la nouvelle donne internationale

Presse
3 juillet 2017
Interview de Pascal Boniface - Russie Info
En 2015, vous écriviez : une Russie forte mais isolée. Quel est le positionnement de la Russie aujourd’hui, 4 ans après la crise ukrainienne ?

Depuis 2014, la situation n’a pas beaucoup changé. La Russie maintient ses positions. On entend fréquemment que la communauté internationale « sanctionne la Russie ». C’est faux. C’est simplement la communauté occidentale. La Russie garde toujours de bonnes relations avec les pays non occidentaux.

En revanche, les relations restent difficiles avec les Occidentaux et l’élection de Trump n’y a rien changé. On est dans une sorte d’impasse stratégique (un « pat » dirait-on aux échecs) où, sur les deux sources principales de désaccord que sont l’Ukraine et la Syrie, les choses n’ont pas vraiment évolué puisque Bachar Al-Assad est encore au pouvoir, soutenu mais sans avoir gagné la partie, et qu’en Ukraine, les accords de Minsk ont bien été signés mais sans être réellement mis en œuvre.

Emmanuel Macron a reçu Vladimir Poutine à Versailles. Jean Yves Le Drian vient de se rendre à Moscou. Peut-on déjà parler de rapprochement franco-russe ?

Il faut rappeler que François Hollande n’a finalement jamais totalement coupé les ponts avec la Russie. Certains répétaient qu’il fallait parler avec la Russie, je crois que les deux présidents se sont vus 11 fois. C’est F. Hollande qui a créé le « format Normandie » et accéléré la mise en œuvre du « format de Minsk ».

Emmanuel Macron, en prenant l’occasion de l’exposition de Pierre le Grand à Versailles pour accueillir le président russe, s’est affranchi de l’opinion publique française et de la presse. Il a provoqué cette rencontre, tout en conservant un discours assez ferme à l’égard de la Russie. On peut dire que le nouveau président de la République a marqué des points dans les deux sens.

Il s’était plusieurs fois réclamé du gaullo-mitterandisme pendant la campagne électorale: il montre que sur ce point-là il reste fidèle à cette filiation. Pour les gaullo-mitterrandistes, la Russie est un partenaire compliqué avec lequel on peut avoir des désaccords ; pour les néo-conservateurs, c’est un adversaire.

Sur quels sujets peut-on alors imaginer des évolutions concrètes ?

Le vrai sujet c’est la levée des sanctions. Mais l’Union Européenne a décidé de les prolonger et il faudra peut-être attendre l’élection allemande pour que le couple franco-allemand puisse, avec l’aide des Italiens et Espagnols, revenir dessus.

De plus, on voit qu’il y a assez peu de chances que le dossier ukrainien avance rapidement : les Russes ne font pas tous les efforts nécessaires par rapport aux indépendantistes de Donetsk et le pouvoir de Kiev n’en fait pas non plus. Le dossier ukrainien semble gelé pour le moment. Il est clair que si Vladimir Poutine mettait tout son poids dans la balance, il pourrait sûrement faire évoluer la situation mais les différents blocages du pouvoir ukrainien, dont on parle moins, ne font rien pour arranger les choses. Mais le format de Minsk a au moins empêché la guerre de dégénérer et c’est mieux que rien.

Il y a quelques jours, Emmanuel Macron assurait au président ukrainien, Petro Porochenko, en visite à Paris que « la France ne reconnaitra jamais l’annexion de la Crimée ». Que cela signifie-t-il pour les relations franco-russes ?

La France n’a jamais non plus reconnu l’annexion des Pays Baltes en 1940 et cela n’a pas empêché des relations normales avec l’Union soviétique.

Il est certain que la France ne reconnaitra jamais la Crimée russe, comme la plupart des pays occidentaux. Mais cela reste différent, notamment du fait d’imposer la restitution à l’Ukraine de la Crimée comme préalable au début de normalisation des relations.

Il y a peu de temps, l’avion du ministre de la Défense russe a été survolé par un jet de l’OTAN. Faut-il s’inquiéter de ces fréquents incidents militaires en mer Baltique ?

Oui car malheureusement on ne sait jamais si un incident de ce type va dégénérer. Et l’incident se transformera en catastrophe. Chacun joue avec les nerfs de l’autre mais c’est en fait extrêmement inquiétant.

Structurellement, l’Otan est antirusse. C’est la vocation même de l’OTAN, une nécessité de service. Bien sûr, les Etats Baltes et la Pologne ont des raisons historiques de se méfier de la Russie mais sur des autres sujets. Mais ce ne sont pas ces pays qui décident à eux-seuls de la politique de l’OTAN et celle-ci est structurellement opposée à la Russie.

Commence-t-on à entrevoir une nouvelle politique américaine envers la Russie ?

Donald Trump avait envie d’établir une nouvelle relation avec la Russie mais on peut dire que très rapidement, l’ « Etat profond américain » et notamment les militaires sont venus influencer sa politique, entrainant l’absence de changement et favorisant le maintien d’une politique de rivalité assez dure. On l’a constaté avec la poursuite des sanctions américaines et leur récent renforcement.
Le président américain n’a pas de marge de manœuvre sur ce sujet face au Pentagone et aux organes de sécurité.

Où en est la position russe en Syrie ?

Pascal Boniface : La Russie a le même discours depuis longtemps : Bachar Al-Assad est un rempart contre le terrorisme islamique, même si on peut penser qu’il en suscite une grande part. Et les exemples libyen et irakien plaident pour cette vision. On pourrait trouver des éléments d’accord entre les différentes parties pour un maintien de l’Etat et du régime sans Bachar Al-Assad. C’est une position que Fabius avait déjà défendue et que Macron reprend.

Mais lorsque le régime syrien a de nouveau utilisé les armes chimiques, il y a eu une fenêtre d’opportunité qui n’a pas été saisie : les Syriens ont défié les Russes alors que ces derniers étaient le sponsor de l’accord sur le désarmement chimique et au moment-même d’un congrès de l’opposition à Astana sous initiative de Moscou.

C’était donc un acte de défiance à l’égard de la Russie qui aurait pu conduire à une certaine distance entre Moscou et Damas. Mais comme les Américains ont choisi, pour montrer leur force, d’envoyer 57 missiles sur la Syrie, Poutine a été ramené à réaffirmer sa relation avec Bachar Al-Assad. On a perdu une occasion de faire évoluer positivement la situation.

Poutine défend la vision d’un monde multipolaire. Le monde d’aujourd’hui s’en rapproche-t-il ?

Dans les faits oui, il y a une multipolarisation du monde. Les Occidentaux ont perdu le monopole de la puissance. Les Etats-Unis dont le nouveau slogan est de retrouver la grandeur (« Make America Great again ») reconnaissent ainsi implicitement qu’ils l’ont perdue. Le monde est en voie de multipolarisation. C’est un constat, une réalité. Que l’on soit pour ou contre importe peu.

La Russie participe certes à cette multipolarisation car elle ne s’est pas laissée dominer par les Etats-Unis. Sans doute, les Américains auraient souhaité une Russie plus docile et la politique de Poutine qui conduit la Russie à prendre des distances et à réaffirmer sa puissance, contribue à sa manière à la multipolarisation du monde.

Faut-il s’inquiéter de l’ingérence russe ?

En France, c’est une plaisanterie. Il faut pour cela comparer les réseaux russes aux réseaux américains aux fondations et centres de recherche bien plus nombreux.

La Russie se met progressivement au Soft Power mais elle est dans un rapport de 1 à 100 par rapport aux Etats-Unis. On vient d’apprendre qu’une députée européenne française touchait 10 000 euros par mois d’une fondation américaine. Si cela avait été une fondation russe, cela aurait été un scandale monumental.
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