ANALYSES

Frappes américaines en Syrie : « C’est le retour à la politique de ‘gendarme du monde' »

Presse
8 avril 2017
Si la France ou l’Allemagne ont soutenu ce bombardement décidé unilatéralement par les Etats-Unis, d’autres puissances comme la Russie ou l’Iran, deux fidèles alliés de Damas, l’ont fermement condamné. Donald Trump souhaite-t-il redistribuer les cartes dans la région ? Doit-on craindre un embrasement ? Franceinfo a interrogé Jean-Pierre Maulny, spécialiste des questions de défense et directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).

Franceinfo : C’est la première fois que les Etats-Unis frappent directement le régime de Bachar Al-Assad. Y a-t-il un risque de guerre ouverte entre Washington et Damas ?

Jean-Pierre Maulny : Je ne pense pas. Depuis quelques jours, Donald Trump avait promis une réponse après le bombardement à l’arme chimique de Khan Cheikhoun, attribué au régime. Contrairement à Barack Obama en 2013, il a mis à exécution cette menace. Mais on est dans une riposte limitée sur ue cible militaire, qui a comme objectif de dire à Bachar Al-Assad : « Ne faites plus jamais ça. » Cela ne représente guère plus qu’une action dissuasive, selon moi. Je ne pense même pas que cela change véritablement quelque chose à la politique menée par Donald Trump dans la région.

Pourquoi avoir agi de façon unilatérale, alors que des négociations étaient en cours à l’ONU ?

C’est évidemment un signal destiné à la Russie, qui s’oppose systématiquement à toutes les résolutions concernant son allié syrien depuis le début du conflit dans le pays. Avec cette frappe, Trump s’adresse directement au Kremlin. Il lui signale qu’il prend les devants et qu’il n’est pas prisonnier de son blocage.

Nous sommes désormais dans une situation internationale à peu près équivalente à celle que nous avons connue pendant la guerre froide. Il n’y a plus d’accords du Conseil de sécurité des Nations unies sur les conflits majeurs, car la Russie ou la Chine mettent systématiquement leur veto. Considérant ce fait, les risques d’actions unilatérales sans résolution de l’ONU se multiplient. Ce n’est pas une surprise.

Cela rappelle les interventions militaires de l’ère George W. Bush…

Précisément. En attaquant seuls, les Etats-Unis montrent qu’ils n’ont pas besoin de leurs alliés pour intervenir et qu’ils ont les moyens d’agir de leur propre chef. Tel est le message, comme ce fut le cas sous la présidence de George W. Bush.

Lors de la guerre en Afghanistan, après le 11-Septembre, Washington n’est pas passé par l’Otan pour envahir le pays. Le Royaume-Uni et la France n’ont été que des soutiens de second plan à une opération purement américaine. La coalition internationale, créée sous mandat de l’ONU, n’est venue qu’ensuite. C’est un peu l’idée, lorsque Donald Trump appelle les « nations civilisées » à le rejoindre. C’est le retour à la politique de « gendarme du monde ».

La Russie a tout de suite réagi en dénonçant « une agression » contre « un pays souverain » et a annoncé la suspension de l’accord avec Washington sur la prévention des incidents aériens en Syrie. Que cela veut-il dire ? 

Comme chacun bombardait un peu de son côté dans la région, Moscou et Washington avaient passé un accord pour éviter de se taper dessus par erreur. Le Kremlin revient sur cet accord. Cela veut dire qu’éventuellement, si un avion américain est en vol au-dessus de la Syrie, il pourra être accroché par un radar de poursuite de tir de façon non volontaire. 

On peut évidemment l’interpréter comme une menace voilée, même si nous restons dans le cadre d’un bras de fer diplomatique. Le dossier syrien est éminemment politique. Le langage est très démonstratif, mais la réalité est heureusement beaucoup plus mesurée.

Il ne faut donc pas craindre une escalade de la violence entre la Russie et les Etats-Unis ?

Le risque est très limité. Il n’y a aucune volonté d’affrontement direct entre ces deux puissances, surtout sur un conflit qui reste, somme toute, périphérique.
Sur la même thématique