ANALYSES

Les pays d’Amérique latine dans l’incertitude face à Trump

Interview
27 février 2017
Le point de vue de Christophe Ventura
Par bien des égards, Donald Trump est un président avec un profil inédit dans l’histoire des Etats-Unis. Concernant les relations avec l’Amérique latine, en quoi sa ligne de politique étrangère marque-t-elle une rupture avec ses prédécesseurs ?

Donald Trump représente un profil nouveau dans le panorama des élections américaines car il est le premier président élu, depuis les années 1990, qui n’affiche aucun projet déterminé pour l’Amérique latine. Depuis la fin de la guerre froide, chaque candidat républicain ou démocrate avait un projet pour l’Amérique latine. Il s’agissait de l’intégrer, via un ou des accords de libre-échange, aux chaînes de valeurs économiques et financières de la première puissance mondiale. Manière par ailleurs de garder la région dans son giron. Mais Trump est le premier président à n’avoir pas soutenu un tel projet, ni durant sa campagne où la région a été quasiment inexistante, ni maintenant qu’il est à la Maison-Blanche. Aujourd’hui, sa politique se limite essentiellement à deux questions : l’immigration et le protectionnisme commercial. Les deux concernent surtout le Mexique, l’Amérique centrale et la Caraïbe.

Précisément, l’immigration a été un sujet central dans la campagne de Trump, qui entend renforcer une politique de répression. Concrètement, quelles seraient les mesures à sa disposition susceptibles de bouleverser les schémas migratoires du continent ? Qu’a-t-il déjà commencé à mettre en place ?

Trump a déjà mis en place plusieurs mesures concernant le Mexique mais d’autres politiques moins évoquées dans les médias existent aussi, à destination des pays centre-américains et de Cuba. Il compte essentiellement mettre en place des mesures de répression migratoire sous plusieurs formes. La mesure la plus médiatisée reste la construction d’un mur à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique (de plus de 3 000 kilomètres), dont il souhaite imposer l’essentiel du financement au Mexique.

Comment ? Plusieurs pistes. Trump compte renégocier – peut être dissoudre – l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain). Dans ce cadre, si le Mexique souhaitait continuer à avoir des rapports commerciaux privilégiés avec les Etats-Unis, il devrait accepter de prendre en charge le financement du mur. Le président américain annonce également vouloir taxer tous azimuts les envois de fonds (remesas) des Mexicains vivant aux Etats-Unis vers leur famille restée au pays. Actuellement, 12 millions de Mexicains vivent aux Etats-Unis, une famille mexicaine sur deux a un parent qui vit aux Etats-Unis et 20% des familles mexicaines bénéficient de ces envois de fonds (estimés à la somme colossale de 26 milliards de dollars en 2016). Trump menace ainsi de taxer chacun de ces transferts à hauteur de 5% de manière à financer le mur. En fait, il semble formuler les termes d’un chantage au gouvernement mexicain : soit celui-ci accepte de financer une enveloppe de 5 à 10 milliards de dollars pour ce mur – dont le coût annoncé par Trump s’élève à 8 milliards de dollars, alors que le Département de sécurité nationale considère qu’il coûterait en réalité plus de 21 milliards ! – soit le nouveau président américain taxera les remesas.

Enfin, un autre volet de la politique de répression consiste en la signature, il y a quelques semaines, d’un décret présidentiel renforçant les moyens financiers et humains américains à la frontière mexicaine en augmentant les effectifs des patrouilles policières et garde-frontières à hauteur de 15 000 personnes. Dans l’attente du potentiel mur, ce décret prévoit de construire des centres de détention pour migrants. Il faut rappeler qu’il existe déjà une barrière métallique étalée sur plus du tiers de la frontière entre les deux pays.

Concernant les pays centre-américains, en particulier le Guatemala, El Salvador et le Honduras qui forment le Triangle Nord, Trump a confirmé l’enclenchement des programmes élaborés par Barack Obama (notamment l’Alliance pour la prospérité disposant d’une enveloppe de 750 millions de dollars votée par le Congrès en 2015). Ils consistent, entre autres, à financer des plans de contrôle et de sécurisation des frontières, de formation policière et militaire, ainsi que des projets de développement. Le but est d’empêcher les migrants de quitter ces pays disloqués par la pauvreté, la criminalité, la corruption, le narcotrafic et par les problèmes politiques et institutionnels.

A noter également que Barack Obama avait levé, avant la fin de son mandat, une loi dite « Pieds sec pieds mouillés » qui permettait aux Cubains quittant l’île pour rejoindre le sol américain de bénéficier d’un statut privilégié et de résident. Cette loi datait de l’époque de la guerre froide. La Havane a toujours considéré qu’il s’agissait d’une incitation à l’exil pour ses ressortissants et exigeait donc son retrait dans le cadre du processus de normalisation amorcé en 2014. Chose faite. Aujourd’hui, avec la fin de cette loi, tout Cubain parvenant illégalement aux Etats-Unis sera considéré comme n’importe quel autre clandestin. Cette mesure va donc influencer la migration cubaine vers les Etats-Unis.

Le protectionnisme affiché de Trump va certainement redéfinir les relations diplomatiques et commerciales en Amérique latine. Serait-il plus judicieux pour les dirigeants sud-américains d’en profiter pour créer une nouvelle dynamique collective ou s’agit-il au contraire de se tourner vers des partenaires extérieurs comme la Chine ?

L’arrivée de Donald Trump confère très clairement à l’Amérique latine un statut de laboratoire concernant les politiques commerciales. On peut qualifier les politiques protectionnistes du président américain comme relevant d’un « protectionnisme de copains », dans le sens où Trump ne s’attache à aucune doctrine. Il exige simplement une loyauté intégrale de la part des pays qui souhaitent établir un partenariat avec les Etats-Unis. Ceux qui obtempèreront seront récompensés, tandis que les autres seront sanctionnés. Dans cette optique, il souhaite remplacer les cadres de négociation multilatéraux par des cadres bilatéraux, qui permettraient aux Etats-Unis – comprendre à leurs entreprises et classes dirigeantes – de tirer le maximum de bénéfices. En face, les chancelleries et les capitales sud-américaines sont en pleine hésitation et en redéploiement stratégique, qui reste encore aléatoire. La tendance est à l’émergence de nouveaux débats car la position du président américain encourage les pays latino-américains à diversifier leurs partenariats, à la fois avec les Etats-Unis mais également avec la Chine et les autres pays émergents.

La question de l’intégration régionale se pose à nouveau également. Cette intégration économique régionale est actuellement faible en Amérique latine. En effet, l’économie intrarégionale représente à peine 15% des échanges des pays latino-américains, l’essentiel de leur production étant exporté sur les grands marchés mondiaux. Ce sujet revient donc dans l’agenda des capitales latino-américaines mais il est encore beaucoup trop tôt pour savoir s’il se concrétisera. Tout dépendra aussi de l’attitude du Mexique, selon qu’il soit prêt ou non à se redéployer vers l’Amérique latine. Ces questions restent ouvertes et sans réponse. Mais il est évident que l’intégration régionale aurait beaucoup de vertus pour les Sud-Américains, tant pour compenser les chocs de l’économie mondiale que pour se protéger des aléas de la politique nord-américaine.
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