ANALYSES

Les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance !

Tribune
4 octobre 2016
Voilà, sous sa forme interrogative, un thème de colloque ou un sujet de dissertation assez répandu depuis quelques années, notamment consécutivement aux attentats du 11 septembre 2001, le bourbier afghan ou le désastre irakien. Nous sommes ainsi, fréquemment, invités à nous interroger sur l’avenir de la puissance américaine, son implication dans les enjeux sécuritaires majeurs, ses capacités, ses compétiteurs, ou encore (un sujet qui ne date pas d’hier) sa volonté de jouer les premiers rôles. Et ce « nous » ne se limite pas aux observateurs de la politique américaine, mais s’invite dans de nombreuses discussions informelles prophétisant de manière plus ou moins crédible le « déclin de l’empire américain ».

Mais c’est bien d’une exclamation dont il est ici question, comme s’il s’agissait désormais d’un fait acquis, ou d’une évidence que les prochaines années (avec un nouvel exécutif) ne feraient que confirmer. Et cette exclamation fait partie intégrante de la vision que les deux candidats à l’investiture suprême ont de la politique étrangère, comme en témoignent leurs programmes respectifs, ou à défaut, leurs sorties médiatiques. Le premier débat télévisé du 26 septembre n’a fait que le confirmer, plusieurs sujets de politique étrangère et de sécurité ayant été évoqués, à défaut d’être traités.

Comme sur d’ailleurs à peu près tous les autres sujets, c’est Donald Trump qui s’est, depuis déjà plusieurs mois, montré le plus prolixe sur sa conception de la politique étrangère américaine. Volonté de revoir, et parfois d’annuler, les traités de libre-échange signés au cours des deux dernières décennies ; mettre fin au rapport de force avec Moscou ; soutien sans faille à Israël ; désengagement des zones conflictuelles au Moyen-Orient ; réinterprétation des implications de Washington au sein de l’OTAN ; remise en cause de la stratégie du pivot vers l’Asie ; désengagement des dossiers sécuritaires épineux comme la Corée du Nord ; climato-scepticisme (le réchauffement climatique est selon lui une invention des Chinois)… Un vaste programme qui pourrait se résumer par une remise à plat de toute la politique étrangère des Etats-Unis, et un refus d’apparaître systématiquement en première ligne. Le magnat de l’immobilier ne souhaite s’impliquer que quand les intérêts américains sont en jeu, et quand il y a un bénéfice à en tirer. Pour le reste, pas question de voir Washington jouer les premiers rôles. Pour quelle raison pourrait-on lui demander ? Et la réponse est simple : Trump reconnaît implicitement que les Etats-Unis n’ont plus les moyens d’une superpuissance, et moins encore d’une hyperpuissance. En conséquence, il faut se recentrer sur les impératifs, et ne pas se mêler de toutes les affaires du monde. On parle ici, sans doute de manière exagérée, d’un retour de l’isolationnisme, mais il est indiscutable que c’est une première depuis la fin de la Guerre froide. S’il n’était pas obsédé par un discours aux accents populistes, Trump pourrait ainsi claironner à ses supporters « Les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance ! » et décliner ainsi son programme. Pas très vendeur, mais dans le contenu, c’est bien de cela dont il s’agit, et de manière finalement très explicite. Très loin du slogan Make America great again, ce serait ainsi plutôt du America is not so great anymore.

C’est cependant, et paradoxalement, du côté d’Hillary Clinton que l’aveu d’un déclin des Etats-Unis sur la scène internationale fut le plus net. Un aveu d’autant plus inquiétant qu’il fut formulé par l’ancienne Secrétaire d’Etat, qui a par ailleurs effectué lors de son mandat (2009-2013) des déplacements officiels dans plus de pays qu’aucun de ses prédécesseurs (elle semble d’ailleurs en faire un gage de son expérience et de sa compétence, ce qui est pour le moins discutable). La petite phrase resta assez inaperçue, noyée dans un flot d’attaques assez médiocres et de démonstrations de populisme formulées par Trump, mais aussi dans une moindre mesure par l’ancienne First Lady. Elle n’en est cependant pas moins significative de cet aveu, terrible, que les Etats-Unis ne sont plus désormais à un niveau de puissance tel que sa politique étrangère peut être menée en toute indépendance. L’ancienne Secrétaire d’Etat s’inquiéta ainsi de ce qu’une puissance étrangère, en l’occurrence la Russie, soutienne la candidature de Donald Trump, et parasite par la même occasion la campagne. Passons sur le sérieux d’une telle attaque, pour nous concentrer sur ce qu’elle suggère, à savoir que les Etats-Unis pourraient être influencés par des puissances extérieures. Rien de nouveau, répondraient immédiatement les sceptiques et les adeptes de théories du complot en tous genres, Washington pouvant être soumis à une multitude d’influences extérieures. Peut-être. Toujours est-il que cet aveu est ici formulé par celle qui dirigea la diplomatie américaine pendant quatre ans, et ambitionne la fonction suprême, et c’est ce qui fait sa singularité. Ainsi donc une campagne présidentielle dans la plus vieille démocratie du monde serait parasitée par une puissance extérieure. Ainsi donc un candidat à la Maison-Blanche serait le candidat de Moscou. Cela revient clairement à reconnaître que les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance, et c’est en ce sens un message très négatif envoyé non seulement aux électeurs, mais plus encore au reste du monde.

On regrette que les deux candidats ne mettent pas d’avantage en avant leur différence fondamentale en matière de politique étrangère, et les débats télévisés devraient justement servir entre autres à cela (restons optimistes, il y en a encore deux). Digne héritier – sans doute bien malgré lui – des réalistes, Trump semble ainsi privilégier en toutes circonstances l’intérêt national américain, quitte à se montrer (très) cynique sur certains dossiers. De son côté, Hillary Clinton s’inscrit dans une école libérale aux accents messianiques qui place les Etats-Unis et les valeurs américaines au centre du système-monde, rappelant le principe de « nation indispensable » cher au mari de la candidate démocrate, et accessoirement ancien président. Assez simple finalement comme choix, que nous pourrions traduire par une formule également très simple : « Faut-il accepter la réalité que les Etats-Unis ne sont plus une superpuissance, ou au contraire faire de la résistance ? » Sans doute serait-il dès lors plus judicieux de présenter clairement cette différence aux électeurs, qui pourraient ainsi s’exprimer sur ce que représentent pour eux les Etats-Unis sur la scène internationale, plutôt que de multiplier des attaques indignes et des déclarations éparpillées qu’il nous faut, à la manière d’un puzzle, remettre en place.
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