ANALYSES

L’Europe appelle à l’aide les pays émergents : nouvelle donne dans la mondialisation ?

Presse
27 octobre 2011
Sylvie Matelly - Le Plus du Nouvel Obs

Après avoir essayé de se sortir seuls de la crise, les Européens ont décidé d’appeler à l’aide les grands pays émergents des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), en leur proposant d’investir dans le Fonds européen de stabilité financière. Le Sud qui finance le Nord, c’est suffisamment rare pour être souligné. Quels en sont les enjeux ? Réponse de Sylvie Matelly, directrice de recherche à l’IRIS.


Peut-on considérer le fait que l’Europe sollicite des pays émergents comme un retournement de situation ? Oui, dans le sens où, pendant longtemps, ce furent plutôt les pays du Nord qui financaient ceux du Sud. Mais si les contributions de la Chine, du Brésil ou de la Russie au Fonds européen de stabilité financière (FESF) seraient une première, elles s’inscrivent dans un processus entamé il y a trois ans, justement avec la crise.


Au mois de novembre 2008, les pays membres du G8 (les économies les plus avancées) jugèrent que la crise était sévère et globale et par conséquent, qu’il fallait associer les grands pays émergents à sa résolution. Ils furent ainsi invité à participer au sommet des chefs d’Etat du G20 à Washington. Ils ne furent pas seulement écoutés, leurs propositions ont aussi pesé. C’était un changement notable par rapport à "l’avant 2008" ; cette fois-ci leur participation était à dimensions politique et géopolitique, en plus d’être économique parce qu’on avait besoin d’eux. Cette tendance s’est confirmée lors des G20 suivants, à Londres et à Pittsburgh par exemple.


Les éventuels investissements de pays émergents dans la zone euro s’inscriraient dans la même logique, celle d’interdépendances toujours plus importantes entre nos économies nécessitant une coopération plus étroite.


Quel intérêt pour les pays émergents ?


La mondialisation s’est amplifiée sur la base de déséquilibres majeurs : les pays les plus développés délocalisaient des productions industrielles jugées polluantes ou trop coûteuses vers des pays en plein essor mais importaient en retour ces produits au prix de déficits commerciaux récurrents et d’un accroissement sans précédent de l’endettement, privé ou public suivant les pays. Pour soutenir cela, les Suds émergents finançaient les consommateurs du Nord pour s’assurer des débouchés à l’exportation, mais au détriment de leur propre consommation.


Il faut donc bien comprendre que si les pays émergents décident de soutenir la zone euro, ce sera aussi et surtout pour soutenir leur propre activité économique. Ils sont en effet dépendants des États-Unis et de l’Europe, notamment pour leurs exportations et la situation économique de ces deux régions les concerne directement.


L’inquiétude qui peut toutefois ressortir de cela vient du fait que dans l’urgence, les Européens comme les Émergents continuent à agir comme avant la crise au risque de creuser encore les déséquilibres, de soutenir la dette des pays riches en pénalisant l’amélioration du niveau de vie au sein des pays émergents. Cela peut, sur un autre registre, poser des problèmes géopolitiques et sociaux : l’accroissement des inégalités qui en résulte n’est pas un facteur de stabilité internationale…


Un autre constat peut être fait : la Chine, qui exporte beaucoup, ne voit pas d’un bon œil la baisse de l’euro. Plus généralement, l’inquiétude affichée par plusieurs pays émergents (Brésil par exemple) ou même par les États-Unis traduit l’importance qu’accordent ces pays à la zone euro dans notre monde global. En d’autres termes, il aura fallu la crise de l’euro pour que tant les Européens que le reste du monde réalisent que la zone euro était devenue un acteur majeur de l’économie mondiale. Par les temps qui courent, prenons cela comme une bonne nouvelle !


La reconnaissance de la zone euro comme acteur important de la mondialisation n’est pas vraiment nouvelle sur le plan financier, mais elle est assez récente sur le plan économique. Couplée à une possible intervention financière des pays émergents, elle aboutit à une situation où les prises de conscience sont mutuelles et intéressantes.

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