ANALYSES

Chrétiens d’Orient : quelle réalité ?

Tribune
26 novembre 2013
Par Marie de Varney, auteure « Chrétiens d’Orient. Voyage au bout de l’oubli » (François Bourin Editeur, 2013)
Dans votre livre, vous écrivez que les Chrétiens d’Orient, hormis en Jordanie, « doivent toujours se disculper d’une faute qu’ils n’ont pas commise ». Comment et pourquoi en est-on arrivé à cette situation ?

Les chrétiens d’Orient subissent le contrecoup des relations conflictuelles que les Etats-Unis ont entretenues avec l’Irak. Comme je l’explique dans « L’Irak du silence » paru en 92, les Etats-Unis et peut-être plus encore l’Europe étaient tenus avant la première guerre du Golfe pour des modèles démocratiques. La guerre du Golfe a fracassé cette espérance en Irak mais aussi dans toute la région. La démocratie imposée à coup de bombes perdait toute crédibilité. L’Irak et l’Orient plus généralement se sont aperçus que non seulement l’Amérique était l’agresseur mais que l’Europe ne les protégeait nullement du bellicisme américain, qu’elle était au contraire la complice de cet idéal bafoué. Ensuite, l’embargo particulièrement douloureux pour la population – une guerre après la guerre – a éprouvé ce pays jusqu’au paroxysme et nourri le mépris à l’égard de l’Occident, le sentiment de désillusion, voire même de trahison.
La guerre de 2003 a été le point culminant de cette escalade dans la haine. Ressentie en Orient comme particulièrement inique et mensongère, sans justification autre que marchande. Les Chrétiens qui pourtant n’ont été solidaires d’aucune de ces guerres, au contraire, sont devenus les boucs émissaires faciles, à portée de regard. Dans un raccourci trompeur, ils ont été assimilés à cet Occident honni alors que les bombes sont tombées sur les chrétiens comme sur les chiites, sans discrimination. Personne en Irak n’a été épargné.

Vous évoquez à plusieurs reprises les réfugiés chrétiens dans différents pays d’Orient. Pourquoi doivent-ils fuir leurs terres d’origine ? Et comment analysez-vous leur situation actuelle ?

Diviser pour mieux régner est une règle universelle. Le pouvoir de la plupart de ces pays a instrumentalisé le ressentiment contre l’Occident pour assoir sa domination. Ensuite, il s’est servi de l’Islam pour rester plus longtemps en place. Dans ce cadre, les minorités ont été maltraitées, et les chrétiens orientaux en particulier désignés comme des incarnations occidentales alors qu’ils ne cessent de revendiquer leur ‘arabité’. A présent, les gouvernements de ces pays les ostracisent et rendent leur quotidien progressivement insupportable. La situation actuelle des chrétiens d’Orient est intenable. Elle tient du porte-à-faux. Marginalisés, persécutés, niés, dans certains pays effacés des statistiques, ce qui équivaut à une mort annoncée, acculés à fuir quand ils en ont les moyens dans des pays ‘matérialistes’ où ils ne sont pas sûrs d’être bien accueillis, loin de leurs terres et surtout de leurs valeurs.

Vous évoquez dans votre ouvrage l’instrumentalisation des chrétiens syriens par Bachar al-Assad. Quelle est leur position dans le conflit syrien ?

En dépit de déclarations fracassantes et malvenues de certains ecclésiastiques, en dépit des récupérations intégristes de la dernière heure, la plupart des chrétiens syriens aspiraient et aspirent encore à un processus démocratique, comme le reste de la population. Nombre d’entre eux ont manifesté dans ce sens sans penser à l’aspect religieux. Ils sont syriens avant d’être chrétiens. Au fur et à mesure que la contestation s’amplifiait, Bachar al-Assad a désigné les chrétiens à la vindicte publique et même, ce qui se sait moins, essayé de les armer pour qu’ils se retournent contre la population, sous prétexte d’auto-défense préventive. Dans le même temps, le dictateur s’est déclaré leur grand protecteur et de ce fait, il les mettait délibérément dans une position très inconfortable. La position dangereuse du « chouchou du maître ». Pour autant, les chrétiens n’ont jamais joué le jeu de Bachar al-Assad, ils ne sont dupes d’aucune des manipulations du pouvoir qu’ils jugent pernicieuses. Diriger des armes contre leurs ‘frères’ leur a toujours semblé non seulement contraire à leur éthique, au principe fondamental de paix et de respect de l’autre préconisé par la religion chrétienne, mais stupide et à terme, autodestructeur. Les chrétiens syriens redoutent la guerre civile en sus des bombes. Ils préfèrent fuir quand ils le peuvent, une société où ils n’ont plus leur place même s’ils ne ratent pas une occasion de revendiquer leur appartenance à cette société au même titre que les musulmans.


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