ANALYSES

Élections législatives en Iran : quels enseignements ?

Interview
5 mars 2024
Le point de vue de Thierry Coville

C’est dans un contexte politique et social instable que les Iraniens étaient appelés aux urnes le vendredi 1er mars 2024 afin d’élire leurs députés et les membres de l’Assemblée des experts. Alors que la légitimité de la République islamique décline depuis plusieurs mois, l’abstention a atteint un stade inédit depuis la Révolution de 1979. Si les ultras conservateurs maintiennent toujours le cap, il semble judicieux de se questionner sur la pérennité du régime au moment où le contexte régional et international place l’Iran au cœur de l’« axe de la résistance ». Quelles analyses peut-on tirer des résultats et quel constat peut-on faire sur l’actualité politique iranienne ? Éléments de réponse avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Iran.

Dans quel contexte politique, économique et social se sont tenues les élections législatives en Iran ? L’abstention record annoncée s’est-elle confirmée ?

Les élections législatives se sont tenues dans un contexte de crise politique sans précédent en Iran, car il s’agit des premières échéances électorales après les manifestations de protestation contre la mort de Mahsa Amini en septembre 2022. Cette crise politique est couplée d’une crise économique puisque l’Iran connaît une inflation record avoisinant les 40 % depuis le retrait de Donald Trump de l’accord sur le nucléaire en mai 2018. La République islamique d’Iran rappelant régulièrement, à travers ces élections et le taux de participation, la légitimité de son système politique, tous les observateurs attendaient de voir comment évoluerait taux de participation dans un tel contexte. Deux narratifs s’affrontent. D’une part, d’après la presse iranienne, le taux de participation est de l’ordre de 41 %, correspondant ainsi au taux le plus faible historiquement depuis la Révolution. Par ailleurs, le taux de participation est parfois encore plus faible dans les grandes villes (près de 24 % à Téhéran) et au sein des votants, on observe que le nombre de bulletins blancs est très important. Dans la capitale et dans quatorze autres provinces, aucun candidat n’a obtenu le nombre de nécessaire de scrutins (20 % des voix) pour être élu au premier tour, un autre signe témoignant de la désaffection populaire. Dans certaines grandes villes, le bulletin blanc est même arrivé en tête ou en seconde position. Tous ces éléments traduisent un mécontentement d’une majorité de la population par rapport au système politique. D’autre part, vous avez les défenseurs de la République islamique qui soulignent une bonne participation aux élections, au-delà des espérances et des 30 % annoncés dans des sondages il y a quelques semaines. Un taux de 40 % dans un contexte de crise politique et économique montre qu’il y a toujours une base populaire qui soutient le régime islamique. Toutefois, il y a quand même un consensus pour confirmer la perception d’une impasse politique avec un taux de participation aussi faible.

Quelle influence ces élections vont-elles avoir sur le régime islamique et sa politique ? Les conservateurs en Iran sortent-ils renforcés de l’élection ?

L’orientation prise depuis 2018 par le sommet de l’État et le guide Ali Khamenei a placé les ultras conservateurs aux commandes de tous les pouvoirs en Iran. En instrumentalisant les élections et en écartant les candidats un peu critiques, Ali Khamenei a facilité la victoire des conservateurs lors des élections législatives de 2020 et des présidentielles de 2021. Finalement, cette stratégie continue puisque beaucoup de candidats réformateurs n’ont pas pu se présenter à ces élections législatives et les ultras conservateurs qui soutiennent Ebrahim Raïssi ainsi que le guide Ali Khamenei, devraient garder une majorité confortable au Parlement iranien. La stratégie politique de contrôle de tous les pouvoirs par les ultras conservateurs n’a donc pas changé. Néanmoins, il s’agit d’un contrôle avec une légitimité populaire de plus en plus fragile comme en témoigne le faible taux de participation et la forte proportion des votes blancs. On peut donc se questionner sur la légitimité du Parlement qui sera amené à siéger pendant quatre ans.

Depuis le 7 octobre, comment la politique nationale et la politique étrangère du pays s’articulent-elles ? Le contexte régional et international délétère a-t-il une influence sur la politique intérieure iranienne ?

Du côté de la politique étrangère et de la politique régionale, à partir du moment où elle est décidée en priorité par la guide Khamenei, son entourage et les dirigeants des Pasdaran, la ligne idéologique de soutien à l’« axe de la résistance » et contre l’État d’Israël reste la même. Les principaux dirigeants ne changeront en aucun cas cette politique parce qu’ils ont une moindre légitimité à l’intérieur du pays. Pour eux, le projet idéologique de la République islamique d’Iran qui comprend la lutte contre Israël et le soutien aux Palestiniens doit perdurer. Il y a quand même une gêne, car depuis le 7 octobre, il est intéressant de voir qu’il n’y a pas eu de manifestations de masse comme on a pu l’observer dans d’autres grands pays musulmans en faveur des Palestiniens. Pourquoi ? Parce que même si une grande partie des Iraniens sont contre ce qui se passe à Gaza et sont prêts à protester en faveur des Palestiniens, il y a un malaise politique et une opposition au régime. Si la République islamique dit « noir », une partie importante de la population va dire « blanc ». Ainsi, le régime semble inquiet, car s’il organisait des manifestations de masse, il n’y aurait probablement pas autant de monde qu’espéré. Au total, on constate que les grands axes de la politique régionale iranienne sont quelque part renforcés depuis le 7 octobre, mais que le soutien à cet « axe de résistance » n’est pas du tout unanime au sein de la population. Il y a un autre élément notable : la prudence et le pragmatisme de la République islamique qui, même si elle est idéologiquement farouchement opposée à Tel-Aviv, ne souhaite absolument pas tomber dans un conflit ouvert avec les États-Unis et Israël. Téhéran fait sans doute passer des messages à ses alliés comme les Houthis et les milices chiites en Irak ou en Syrie pour éviter que le conflit n’aille trop loin.
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