ANALYSES

Conséquences du conflit Israël-Hamas au Proche-Orient

Tribune
4 janvier 2024


Les attaques du Hamas du 7 octobre et la riposte massive d’Israël qui s’en est suivie ont considérablement changé la face du conflit israélo-palestinien. Il est prévisible que les conséquences géopolitiques de cette confrontation directe à Gaza ne puissent rester circonscrites aux quelque 400 km2 de la bande de Gaza. Les actions inquiétantes de part et d’autre en riposte à la situation dans la région déboucheront-elles sur un affrontement majeur ?

D’une part, si une confrontation directe entre Téhéran et ses alliés les plus proches comme le Hezbollah, les Houthis au Yémen et les milices pros iraniennes en Syrie et en Irak a pu être contenue pour le moment, rien ne garantit que dans les prochaines semaines la situation n’évolue vers un conflit majeur.

D’autre part, la sécurité de la navigation en mer Rouge est menacée et risque de perturber le commerce mondial. Un événement qui pourrait entraîner des répercussions à l’échelle régionale puisque cette artère vitale pour l’Égypte est également très importante pour l’Arabie saoudite, qui y a concentré son principal projet de développement sur sa façade occidentale, et pour la Jordanie dont c’est l’unique accès maritime avec le port d’Aqaba.

 

La relation saoudo-iranienne mise à l’épreuve

Les récents événements pourraient également avoir des répercussions sur les relations saoudo-iraniennes à peine rétablies. Très discrets depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier et le début des opérations à Gaza, les Saoudiens doivent réfléchir en ce moment à la portée de l’accord qu’ils ont conclu, il y a sept mois, avec l’Iran sous le patronage de la Chine. Accord qui a été réaffirmé à Pékin il y a quelques jours, mais qui a du mal à se concrétiser au-delà de la reprise formelle des relations entre les deux pays.

Officiellement rien n’est remis en cause et les sourires de façade restent de mise, mais le malaise est perceptible et la méfiance palpable. L’accord visait essentiellement à établir un nouvel équilibre dans la région, où l’Arabie saoudite de Mohamed Ben Salman trouverait sa place de leader de la péninsule. Il visait également à réduire le soutien des Iraniens aux Houthis. Or, la multiplication des actions des Houthis en mer Rouge, sans nul doute avec l’aval et l’appui des Iraniens, ne peuvent qu’inquiéter Riyad. Les Houthis, dotés de capacités balistiques importantes, sont une menace pour la navigation en mer Rouge, mais aussi pour les installations pétrolières saoudiennes. L’attaque par drones de septembre 2019 contre les sites d’ARAMCO est encore dans les esprits.

 

Une sérieuse menace pour l’Égypte

En ce qui concerne l’Égypte, les enjeux sont d’un tout autre ordre. La navigation dans le canal de Suez est une des principales sources de devises du pays. L’année dernière, cette artère a rapporté plus de 8 milliards d’euros de revenus. Une fermeture du canal ou un détournement durable de la navigation serait catastrophique pour un pays économiquement exsangue. La chute d’un missile au large de la station balnéaire de Dahab, lieu touristique très fréquenté sur la mer Rouge à la frontière avec la Jordanie, est un élément qui vient renforcer les craintes du Caire : celles de se voir atteint non seulement par une baisse des revenus du canal de Suez, mais également du tourisme, autre source essentielle de devises. Les ministres des Affaires étrangères de l’Égypte et de la Jordanie se sont ainsi concertés pour coordonner leur action.

 

Tolérance des grandes puissances : un seuil franchi ?

L’autre question qui se pose est celle des limites de la tolérance des grandes puissances, notamment des États-Unis, face à cette situation qui menace leurs intérêts. Les attaques par drones contre des navires se multiplient. Les marines occidentales abattent presque tous les jours des missiles ou des drones tirés par les Houthis. La marine américaine a récemment coulé trois embarcations yéménites qui s’en prenaient à un porte-conteneur danois de la compagnie MAERSK.

Dans d’autres États où la présence iranienne est importante, comme l’Irak et la Syrie, les attaques des milices pro-iraniennes se multiplient depuis plusieurs mois contre la présence américaine sur le territoire iraquien. Les Américains ont riposté cette semaine, après une énième attaque contre leurs installations militaires en Irak : un signal de l’agacement de Washington démontrant que les limites de la patience ont été atteintes.

L’Inde, de son côté, n’a pas hésité à pointer du doigt l’Iran à la suite de l’attaque en mer d’Arabie d’un battant son pavillon. Cet incident majeur risque d’entraîner une riposte du géant indien qui a décidé de déployer dans la région des navires dotés de capacités balistiques importantes. La Chine quant à elle fait mine de ne rien voir, mais elle possède des moyens de pression sur l’Iran et dispose d’une base navale à Djibouti qu’elle pourrait activer en cas de besoin.

 

Syrie : nouveau théâtre de confrontations

Côté syrien, la Jordanie, qui avait été le principal artisan de la réadmission de Damas au sein de la Ligue des États arabes en mai dernier, a mené plusieurs raids aériens et incursions terrestres contre les bandes de narcotrafiquants affiliés à des milices pro-iraniennes proches du régime. Les relations entre les deux pays sont très tendues et tout dialogue est interrompu. Amman n’hésite pas à déclarer que la Syrie n’a respecté aucun de ses engagements (comme cela était prévisible).

En Syrie, Israël a adressé un signal fort aux Iraniens en éliminant, dans la zone de Sayëda Zeinab, sanctuaire chiite dans les faubourgs de Damas, Redha Mussavi, un haut gradé des gardiens de la révolution iranienne, responsable de la logistique et des approvisionnements en armes et munitions en Syrie. Redha Mussavi était en outre un proche du Général Qassem Suleimani, éliminé par les Américains en janvier 2020 à Bagdad. L’attentat de Kerman, le 3 janvier 2024, qui a fait plus d’une centaine de morts lors de la quatrième commémoration de la mort de Qassem Suleimani, n’a pas été revendiqué, mais jettera encore plus le trouble au sein des autorités iraniennes.

 

Quelle sera la riposte de Téhéran ?

Après une confusion suscitée par les propos de Ramadan Cherif, porte-parole des Gardiens de la révolution, qui avait déclaré que l’attaque du 7 octobre faisait partie de la vengeance pour l’élimination de Qassem Suleimani, ce qui revenait à avouer l’implication directe de Téhéran dans cette action, les autorités iraniennes, par la voix du chef des Gardiens de la révolution et du Hamas, se sont empressées de démentir cette information en attribuant la paternité exclusive au Hamas. Il n’en demeure pas moins que Hussein Salamé, le chef des Gardiens de la révolution, dans son hommage à Redha Mussavi a déclaré : « nous ne nous contenterons de rien de moins que l’élimination de l’entité sioniste pour nous venger ».

Pour l’instant le front libanais, en dépit de la menace du Hezbollah, est relativement calme. La récente déclaration du mercredi 3 janvier de Hassan Nasrallah n’indique pas un changement important de la ligne adoptée par son mouvement, et cela en dépit de l’élimination par un drone israélien en banlieue sud de Beyrouth (en plein fief du Hezbollah) du numéro 2 du Hamas, Saleh el Arouri, que l’on disait très proche des Iraniens. Cette retenue est en partie due à l’intime conviction des Iraniens et de Hassan Nasrallah qu’une confrontation majeure avec Israël pourrait être dommageable pour Israël, mais fatale pour son mouvement.

L’impression que l’on retire de cette situation est que tout le monde retient son souffle, mais garde le doigt sur la gâchette jusqu’à la provocation de trop qui embrasera la région. Les pays arabes concernés, bien qu’inquiets et agacés, font semblant d’ignorer les signaux qui se multiplient de peur de contrarier leurs opinions publiques. Mais qu’en sera-t-il si la zone venait à s’embraser ?

 

 
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