ANALYSES

Quelles leçons tirer de la visite de Joe Biden en Arabie saoudite ?

Tribune
18 juillet 2022


La visite de Joe Biden en Arabie saoudite les 15 et 16 juillet, après une étape en Israël et dans les Territoires palestiniens, et quelques jours après le Sommet du G7 et de l’OTAN, peut être qualifiée d’historique même si ses résultats immédiats peuvent apparaître modestes. Il s’agit d’un revirement complet de la politique récente américaine dans la région.

Barack Obama, dont la prudence et les tergiversations étaient interprétées comme des signes de faiblesse, était considéré avec une certaine condescendance et suspicion par ses interlocuteurs du Golfe. Donald Trump séduisait les dirigeants de la région par sa force brutale et son langage simpliste et binaire focalisé sur l’Iran même s’il agaçait parfois dans son insistance à parvenir à inclure Israël dans le concert régional, ce qu’il a réalisé en grande partie avec succès.

La présidence de Joe Biden a débuté sous de mauvais auspices. Pendant la campagne électorale, il s’était engagé, suite à l’assassinat de Jamal Khashoggi au Consulat saoudien à Istanbul, à faire du Royaume saoudien un État paria. Ce qu’il a fait jusqu’ici en ostracisant le Prince héritier Mohamed Ben Salman (MBS) qu’il a tenu pour responsable de ce crime. Cette situation aurait pu perdurer si les évènements internationaux et régionaux n’avaient pas précipité les choses.

Les effets de la pandémie de Covid-19 qui n’en finit pas et ses graves conséquences économiques combinées à l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont démontré que le monde était entré dans une nouvelle dimension. Pour les puissances occidentales, il était temps de revoir leurs stratégies et de se compter. La guerre en Ukraine a révélé qu’à l’exception des États-Unis et de l’Europe et de quelques pays d’Asie et de l’Australie, le monde dans son ensemble ne condamnait pas la Russie ou se contentait de regarder les évènements en spectateur. Moscou profitant de cette situation d’attentisme, voire de sympathie dans certains cas, en a même saisi l’occasion pour avancer quelques pions en direction des pays du Golfe. Profitant du vide laissé par les Américains, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe a effectué deux visites rapprochées, en mai, dans la région dans l’espoir de convaincre les pays d’adopter une politique de neutralité et de ne surtout pas ouvrir les vannes du pétrole pour venir au secours des économies occidentales étranglées par les suites du boycott imposé à la Russie et la hausse des prix engendrée en grande partie par les prix élevés des hydrocarbures.

Sur un autre plan, les discussions sur l’accord nucléaire avec l’Iran se sont embourbées. Les espoirs d’une reprise sont minces et les récentes déclarations conjointes américano-israéliennes sur la volonté d’empêcher à tout prix l’Iran de posséder des armes nucléaires n’incitent pas à l’optimisme.

C’est dans ce contexte que les États-Unis ont opéré un revirement majeur de leur politique dans la région quitte à mettre la question des droits humains à l’arrière-plan. Principe de réalité oblige.

Les liens tissés par les États-Unis avec la région et avec le Royaume saoudien ont été officialisés par l’accord du Quincy en 1945 entre Ibn Saoud et Roosevelt. Cette alliance repose sur un principe très simple : pétrole contre sécurité. Ce binôme a très bien fonctionné pendant des décennies. Les Américains et plus largement les Occidentaux s’assuraient de la docilité des pays de la région en contribuant à leur développement et à leur sécurité.  La volonté d’imposer des règles de gouvernance calquées sur les modèles occidentaux, l’insistance sur les droits humains ont accru les divergences entre ces pays et les États-Unis. L’échec américain en Irak et en Afghanistan et le désengagement américain subséquent de la région ont largement contribué à accroître le niveau de défiance ainsi que l’impatience de ces pays. L’arrivée au pouvoir d’une jeune génération de dirigeants animés d’une vision pour leur pays a fait le reste.

Conscients de l’importance acquise ces dernières années, les jeunes souverains ont entrepris de vastes réformes sociétales, impensables il y a quelques années. Ils sont également mus par la volonté de faire entrer leur pays de plain-pied dans le monde futur qu’ils pressentent très différent et dont les mutations se jouent aujourd’hui. Tant de défis sont à relever aussi bien climatiques que démographiques sans compter l’après-pétrole qui entraînera la diminution de leurs principales ressources.

La visite de Joe Biden à Djeddah sans enthousiasme d’un côté ni de l’autre (il suffit d’observer la gêne du Président américain en présence de MBS) à l’aune de l’accueil à l’aéroport. Le Président américain a été accueilli à sa descente d’avion par la Princesse Reema Bint Bandar Al-Saoud, ambassadrice du Royaume à Washington et par le Gouverneur de la Mecque, le prince Khaled Al-Fayçal, alors que son prédécesseur avait été accueilli en 2017 par le Roi en personne ; nuance protocolaire qui en dit long sur la nouvelle ère qui s’ouvre. L’excuse du Covid-19 a permis au Président américain de ne pas serrer la main de MBS. Toutes les photos montrent une absence de chaleur évidente entre les deux hommes.

La déclaration finale qui clôture cette visite rappelle l’engagement de renforcer l’alliance stratégique, mais sur les questions comme l’Ukraine, elle se contente de rappeler les principes généraux des règles du droit international. Les seuls points positifs sont l’appel à mettre fin à la guerre au Yémen et le rappel par Joe Biden de son attachement à la solution de deux États pour résoudre la question palestinienne trop souvent oubliée ces dernières années.  Le retrait de la présence internationale de l’île de Tiran est également un signe de détente. Ces îles qui contrôlent le détroit d’Aqaba, le seul accès d’Israël à la mer Rouge, ont une grande importance stratégique. De même, la récente décision de la Direction de l’aviation civile saoudienne d’autoriser le survol du territoire à tous les aéronefs, y compris israéliens, est un signal important.

En marge de sa visite à Djeddah, Joe Biden a assisté à une réunion avec les dirigeants des pays membres du Conseil de coopération du Golfe arabo-persique (CCG), ainsi que l’Égypte, l’Irak et la Jordanie. Le Président américain s’est entretenu en bilatéral avec le Président Sissi, le Premier ministre irakien Qazemi et Mohamed Bin Zayed, le souverain émirien. La veille de cette rencontre, l’influent conseiller diplomatique émirien, Anwar Guergash, avait fait une déclaration remarquée en annonçant que son pays ne s’associerait pas à un front anti-iranien et qu’Abou Dabi enverrait prochainement un ambassadeur à Téhéran. Note discordante ou signe de mauvaise humeur ?

Dans son intervention lors du sommet, le Prince héritier a insisté, en parlant de la relation avec l’Iran, mais le message pouvait être entendu par d’autres, sur le respect de la souveraineté des pays et de la non-ingérence dans les affaires intérieures des pays de la région. Il a annoncé également que l’Arabie saoudite porterait sa production de pétrole à 13 millions de barils/jour (maximum des capacités de production saoudiennes), ce qui permettra de soulager les tensions sur les approvisionnements.

Mais plus que de grands discours, c’est la photo souvenir du sommet qui est éloquente. Le Président Biden prend bien soin de se tenir à distance respectable du Prince héritier comme pour bien marquer le fossé qui existe entre eux.

Dans son allocution devant les chefs d’État du CCG, de l’Égypte, de l’Irak et de la Jordanie, le Président américain a déclaré : « Nous ne laisserons pas un vide dans la région qui serait comblé par la Russie, la Chine ou l’Iran ». Cette phrase résume en elle-même la nouvelle donne américaine.

 
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