ANALYSES

Israël-Palestine : de Charybde en Scylla

Tribune
10 mai 2022


Depuis plusieurs semaines de nombreux affrontements ont éclaté entre forces de sécurité israélienne et manifestants palestiniens entraînant leur cortège d’arrestations, de blessés et de morts. Scènes sans cesse répétées que l’on a l’impression d’avoir déjà vues à de multiples reprises, sans qu’aucune forme de solution ne se dessine.

Pour la seule semaine du 18 avril 2022, c’est plus de 200 personnes, très majoritairement des Palestiniens, qui ont été blessées sur et autour de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, troisième lieu saint de l’islam et site le plus sacré du judaïsme. La police israélienne est de même intervenue à l’intérieur de la mosquée Al-Aqsa en usant massivement de gaz lacrymogène. Ces violences s’inscrivent elles-mêmes dans un contexte de recrudescence d’assassinats de civils israéliens commis par de jeunes Palestiniens. Ces attaques menées au couteau, à la voiture-bélier ou à l’arme de poing sont plus l’expression d’actes désespérés que d’un réel plan d’ensemble organisé et commandité. Pour autant, le chef de gouvernement israélien, Naftali Bennett, a donné carte blanche à l’armée pour arrêter et éliminer par tous les moyens les responsables de ces attentats. En dépit des mesures qu’il ordonne, le gouvernement israélien semble cependant vouloir éviter une répétition des événements de mai 2021, lorsqu’une répression massive à Jérusalem-Est et notamment sur l’esplanade des Mosquées avait déjà embrasé les différentes composantes de la population palestinienne en Cisjordanie ainsi qu’en Israël et entraîné une énième séquence de bombardements massifs, durant onze jours, contre la bande de Gaza.

Beaucoup de commentaires et de condamnations ont été émis à l’occasion de ces événements, déplorant l’« engrenage de la violence ». La formule est pourtant insatisfaisante puisqu’elle ne rend pas compte des causes de ce nouvel accès de violence. Celles-ci sont au moins au nombre de deux : d’une part, la poursuite méthodique et continue du processus de colonisation des terres palestiniennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est – il s’agit désormais de quelque 700 000 colons israéliens – et, d’autre part, la présence policière et militaire d’occupation permanente vécue comme une provocation quotidienne par la population palestinienne. Or, tant que ces deux paramètres ne seront pas contrecarrés, notamment par l’application du droit international, et donc des résolutions de l’Organisation des Nations unies (ONU), la situation ne pourra que continuer à se détériorer.

Risque d’autant plus préoccupant qu’aucune perspective politique concrète n’existe actuellement et qu’une sorte de vide politique prévaut, tant chez les Palestiniens qu’en Israël. En Palestine occupée, la déconnexion entre une Autorité palestinienne discréditée et une très large partie de la population ne fait que s’accroître. Si le phénomène n’est pas nouveau, il s’est considérablement accentué depuis que Mahmoud Abbas a décidé l’annulation des élections législatives, prévues en mai 2021, les premières en quinze ans, au prétexte que la bonne tenue du scrutin n’était pas garantie à Jérusalem-Est. Ainsi, non seulement la possibilité d’une réconciliation au moins partielle entre le Fatah de Mahmoud Abbas et le Hamas volait en éclat, mais surtout un immense sentiment de frustration politique s’aggravait dans les territoires palestiniens, faute de pouvoir enfin choisir ses représentants.

Le gouvernement israélien, quant à lui, se trouve en grande difficulté depuis que les islamistes de la Liste arabe unie ont annoncé, le 17 avril, qu’elle gelait sa participation à la coalition menée par Naftali Bennett pour protester contre la répression sur l’esplanade des Mosquées. Profitant des vacances parlementaires jusqu’au 8 mai, les tractations depuis lors sont serrées pour éviter que le gouvernement ne perde la majorité parlementaire et ne doive alors recourir à des élections législatives anticipées. Ce seraient les cinquièmes en trois ans.

Cette faiblesse des acteurs politiques constitue un problème central puisqu’aucun d’entre eux n’est en situation de pouvoir formuler ne serait-ce que des propositions transitoires pour envisager des pistes de sortie de crise. Cette remarque vaut avant tout pour les dirigeants israéliens opposés à toute solution politique reconnaissant les droits des Palestiniens et qui, surtout, incarnent la puissance occupante théoriquement soumis à des obligations particulières qu’il est donc impossible de mettre au même niveau que les Palestiniens gérant tant bien que mal des territoires sous occupation.

Au niveau régional on ne voit pas plus de propositions de solutions s’esquisser. Le sommet du Néguev, qui s’est tenu les 27 et 28 mars 2022, réunissant les signataires des Accords dits d’Abraham, en présence donc de quatre ministres des Affaires étrangères arabes (Bahreïn, Émirats arabes unis, Égypte, Maroc) et leurs homologues israélien et états-unien, mais en l’absence de représentants palestinien et jordanien, a surtout brillé par son désintérêt manifeste du dossier palestinien. La nouvelle génération de responsables politiques arabes du Golfe, le Saoudien Mohamed Ben Salman et l’Émirati Mohamed Ben Zayed tout particulièrement, est la première à ne proposer aucun plan de paix régional s’inscrivant dans la logique des résolutions de l’ONU et prenant donc en compte le droit des Palestiniens à l’autodétermination. Avant tout préoccupés par le dossier nucléaire iranien, les participants à ce sommet du Néguev assument une forme de déni de la question palestinienne réduite à quelques formules creuses et vide de contenu réel.

On le constate, le dossier palestinien ne semble pas aujourd’hui en passe d’un quelconque règlement. L’amertume engendrée par l’accumulation des facteurs de blocage est enfin aggravée par la guerre en Ukraine. Les Palestiniens se sont en effet rapidement identifiés à une situation d’occupation, mais l’indignation des premiers jours et la condamnation de la guerre menée par Vladimir Poutine ont vite cédé la place à un sentiment d’injustice. En effet, les décisions de sanctions contre l’agresseur suivis d’effets réels, la lutte armée jugée reconnue légitime pour les Ukrainiens renforcent chez les Palestiniens le sentiment d’un deux poids, deux mesures qu’ils ont du mal à accepter, puisque ce qui vaut à juste titre pour le peuple ukrainien ne leur est pas reconnu. Pour leur part, les dirigeants palestiniens, comme la plupart des responsables des pays non occidentaux, prennent garde à ne pas critiquer frontalement le président russe. Nulle allégeance de leur part, mais défiance à l’égard de ce qu’ils analysent comme un double standard difficile à accepter.

Ces quelques éléments montrent à quel point la perspective d’un juste règlement du conflit israélo-palestinien s’éloigne alors que tous les paramètres pour le résoudre sont connus. Il manque encore et toujours la volonté de faire appliquer le droit international.

 
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