ANALYSES

Vers une interdiction de l’avortement aux États-Unis : l’héritage de Trump

Presse
4 mai 2022
Selon les révélations du site d’informations américain Politico, la Cour suprême des États-Unis – sa plus haute instance judiciaire – travaille sur un projet visant à supprimer purement et simplement le droit à l’avortement. Peut-on voir ici l’héritage de Donald Trump ?

Si le document qui a fuité devenait un jugement définitif, cela voudrait dire que la Cour suprême supprimerait le droit constitutionnel à l’avortement et permettrait à chaque Etat fédéré de voter sa propre législation en la matière : interdiction, limitation plus ou moins drastique, autorisations plus souples, etc. L’héritage de Trump est évidemment présent puisqu’il a eu l’opportunité de nommer trois juges à la Cour suprême en un seul mandat et que, sous l’impulsion et via le lobbying d’organisations ultra-conservatrices, notamment évangéliques, il a choisi trois personnalités très à droite sur ces questions. Il faut cependant garder en tête que le lobbying anti-avortement est à l’œuvre depuis les années 1980, c’est un militantisme de terrain très efficace et très influent au niveau local au moment des élections, avec l’appui de certaines grandes fortunes.

La Cour suprême peut-elle réellement rendre illégal l’avortement ? Si oui, quels contre-pouvoirs, quels recours lui opposer ?

Elle ne rendra pas illégal l’avortement au niveau fédéral. Elle peut aller dans le sens d’une plus grande liberté laissée aux États fédérés. Certains vont sanctuariser ce droit et d’autres le limiteront – et le limitent déjà, ils attendent le « go » de la Cour suprême, en quelque sorte.

Le droit à l’avortement est déjà menacé dans de nombreux États américains. Pouvez-vous nous rappeler l’histoire de ce processus réactionnaire ?

Oui, par exemple des conditions tellement drastiques de fonctionnement sont imposées aux cliniques que celles-ci n’ont pas d’autre choix que de fermer. On ne peut pas parler de la démocratie américaine en généralisant. Certes, elle est défaillante à certains égards, par exemple parce que les républicains sont les champions de l’obstruction parlementaire, faussent les règles du jeu démocratique avec des découpages de circonscriptions à leur avantage (gerrymandering) ou encore parce que le poids des petits États ruraux, conservateurs, est disproportionné au Sénat (et donc dans le vote des lois et la confirmation des nominations de ministres, juges, etc.). Ce qui les conduit à avoir un pouvoir au niveau local ou fédéral qui ne correspond pas à ce qu’ils représentent réellement dans la population. Mais d’un autre côté, la démocratie américaine est résistante face aux attaques qu’elle subit : elle a surmonté la tentative de putsch des trumpistes le 6 janvier 2021, elle s’est mobilisée dans les urnes pour faire battre Trump en novembre 2020, elle est très active sur le plan des mobilisations associatives et citoyennes, à gauche comme à droite. Le féminisme, en ce sens, a joué un rôle déterminant : les premières forces d’opposition au projet néo-fasciste de Trump, ce sont les Women’s Marches.

Dans votre ouvrage La démocratie féministe : réinventer le pouvoir, vous proposez d’opposer aux pouvoirs nationaux populistes une alternative féministe. Laquelle, quelle réforme concrète pour transformer ses institutions ?

Une démocratie féministe, ce serait à la fois un gouvernement et un parlement paritaires, un agenda programmatique qui considère les questions de genre comme étant transversales (c’est à bien des égards le cas dans la politique de Biden), mais c’est aussi une manière de gouverner qui soit davantage participative, moins verticale et plus soucieuse de prendre en compte les expertises diverses. Malgré d’importantes avancées, les États-Unis n’ont, comme la France du reste, pas rompu avec des structures de pouvoir héritées du patriarcat qui cherche à les perpétuer.

 

Propos recueillis par Clément Gros pour Regards.fr.
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