ANALYSES

Ukraine : « l’autohypnose » des Occidentaux

Correspondances new-yorkaises
8 mars 2022


Il y a quelques jours, les membres de l’OTAN ont rejeté la demande de Kiev de créer une zone d’exclusion aérienne en Ukraine, par crainte de s’engager dans une « une guerre totale en Europe ». Le président ukrainien a alors dénoncé une forme d’« autohypnose » des membres de l’Alliance. « Tous ces gens qui vont mourir à partir d’aujourd’hui vont aussi mourir à cause de vous. À cause de votre faiblesse », a-t-il accusé.

Comment lui donner tort ? Surtout lorsqu’on se souvient qu’une no-flight zone avait été mise en place par l’OTAN lors de la guerre en ex-Yougoslavie, ou encore que les alliés avaient procédé de même lorsque la Libye s’était embrasée au moment de la chute de Kadhafi.

Bien évidemment, le risque était alors à chaque fois « minime », et la puissance militaire russe d’aujourd’hui n’a rien à voir avec l’armée serbe des années quatre-vingt-dix.

Il n’est donc pas surprenant que l’Occident, pour qui honneur et dignité ne signifient plus grand-chose, ait décidé de ne pas bouger le petit doigt pour défendre l’Ukraine et les valeurs civilisationnelles qui sont les nôtres.

Non, ce qu’il y a de surprenant c’est que très peu de voix se fassent entendre parmi la société civile en faveur d’une aide militaire significative au gouvernement de Kiev. L’éventualité d’une guerre, « une vraie », est devenue si inconcevable pour la plupart d’entre nous, tellement installés que nous sommes dans notre confort occidental consumériste, que prendre les armes afin de défendre la liberté et la démocratie ne nous semble même plus faire partie du champ des possibles. Où est passé le courage d’un BHL qui prônait « la guerre sans l’aimer » lorsqu’il s’agissait de montrer les muscles face au guide de la révolution libyenne ?

Bien sûr que la mise en place d’une zone d’exclusion aérienne en Ukraine pourrait entraîner une riposte sévère de la part des Russes. Et alors, est-ce une raison pour laisser mourir sous nos yeux un pays ami et partenaire ? Le temps des Churchill et des De Gaulle est bien loin. Bien loin aussi l’époque où un jeune président américain nommé Kennedy était resté droit dans ses bottes face à la provocation soviétique à Cuba.

Ici, aux États-Unis, une partie de l’opinion commence néanmoins à douter de la pertinence de la stratégie zéro risque de Joe Biden. La débâcle en Afghanistan qui avait vu l’armée la plus puissante au monde s’enfuir devant une bande de « paysans munis de kalachnikovs et roulants sur des mobylettes » avait déjà choqué la population. L’absence d’une réponse autre qu’économique, même très modérée, à l’agression russe lui fait maintenant craindre que nous soyons entrés dans une autre ère. L’ère post-Amérique.

Le nombre croissant de victimes civiles fera-t-il sortir Biden et les Occidentaux de leur « autohypnose », comme dit le président Zelensky – Zelensky qui vient d’échapper à trois tentatives d’assassinat et qui samedi encore suppliait le Sénat américain de permettre la livraison de quelques avions de guerre supplémentaires à l’Ukraine – ?

J’en doute et je crains que le refus de créer une zone d’exclusion aérienne ne demeure une tâche noire dans l’histoire de l’OTAN. Peut-être même, LA tâche noire – Poutine a déclaré que l’instauration d’une telle zone reviendrait pour les alliés à franchir une ligne rouge. En commettant des crimes de guerre n’en a-t-il pas lui-même franchi une ?

La peur a toujours été mauvaise conseillère. Souvenons-nous de la fin des années trente.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Ses deux derniers essais, «Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » et «  Femme vaillante, Michaëlle Jean en Francophonie », sont respectivement parus chez Max Milo en 2020 et aux Éditions du CIDIHCA en 2021.
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