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Guerre en Ukraine : « L’isolement de la Russie va aussi faire souffrir l’Europe »

Presse
28 février 2022
Sanctions des banques russes, exclusion du réseau Swift, fermeture de l’espace aérien européen, limitation des échanges commerciaux… Les sanctions imposées par l’Occident vont contribuer à isoler la Russie économiquement. Cela aura-t-il réellement un impact ?

À court terme, il n’y aura pas trop de conséquences sur les exportations agricoles russes, au contraire. La Russie est habituée aux sanctions et contre-sanctions, elle a bâti en quatre ou cinq ans une agriculture très puissante. Elle a mis un embargo sur les importations de biens occidentaux. Pour le gaz et le pétrole, c’est à peu près pareil. En Allemagne, 55 % de l’approvisionnement en pétrole et en gaz est importé de Russie. Elle ne peut pas s’en passer. C’est pour cela, d’ailleurs, qu’on a coupé le réseau Swift en partie seulement. On a gardé les canaux Swift qui permettent à l’Allemagne de s’approvisionner et de payer son gaz. Voilà pour l’impact économique. Pour le reste, il s’agit d’un désastre de long terme pour la Russie. Elle va souffrir.

En quoi l’impact sur le long terme serait-il plus dévastateur pour le pays ?

La Russie va être coupée de certains approvisionnements de technologies. Elle va essayer de mettre en place des circuits de contournement des embargos sur ces technologies.

Cela va être un boost pour le développement technologique en Chine, qui va devenir l’approvisionneur principal. Également pour Israël. Parce qu’il y a un million d’Israéliens d’origine russe, qui en ont un bon souvenir et qui ont gardé de bonnes relations avec la Russie. Contrairement à ce que l’on pense, ils sont toujours fourrés à Moscou. Je ne suis pas sûr qu’Israël souscrira aux embargos. Enfin, ça les rapproche éventuellement de l’Inde, qui est restée très prudente sur ce conflit. C’est une puissance technologique dans certains domaines -pas tous.

La Russie va donc se tourner vers l’Est plutôt que l’Ouest ?

Pour la première fois, la Chine est intervenue dans la politique européenne et a dit qu’elle était contre l’extension de l’Otan. Donc la Chine est partie prenante de ce conflit et sur le fond elle a soutenu la position russe, sans soutenir, évidemment, l’invasion en elle-même. Cette guerre en Ukraine est un projet longuement mûri, mais qui a pris une tournure qui n’était pas envisagée. Poutine ne devait pas aller jusqu’à l’invasion. Je pense que la neutralité de la Chine était acquise de toute façon, lors de l’entretien avec Xi Jinping en marge des Jeux olympiques. Cela suffit à Poutine.

De toute façon, les Russes se préparaient à ces sanctions. Peut-être pas d’une telle ampleur, mais ça fait des années qu’ils s’y préparent. Ils vont finir par contrôler la situation, mais ils vont perdre du temps, perdre des moyens de modernisation, etc. Donc un isolement par rapport au monde occidental ? Oui, bien sûr. Ce sera un isolement économique en général, même grave. Mais j’ai tendance à penser que c’est tout aussi grave pour nous.

Pourquoi ?

Cela coupe définitivement l’Europe en deux. Si ce n’est pas définitif, en tout cas, c’est parti pour durer longtemps. Un nouveau rideau de fer s’abat sur le continent. Et donc, cela veut dire que la Russie s’éloigne de l’Europe. La France est le deuxième investisseur en Russie. Les grandes firmes comme Société Générale, Auchan, Renault, Danone, gagnaient beaucoup d’argent là-bas. On peut espérer que la raison prévaudra, que les Russes ne vont pas confisquer les investissements, les mettre sous séquestre ou les nationaliser.

Cette situation est malheureuse. Mais tout cela est suspendu, évidemment, au règlement de la crise. Est-ce que ça va aller vite ? Est-ce que les négociations qui se sont enclenchées aboutiront rapidement ? Je n’y crois pas trop. Il y a beaucoup de points d’interrogation, mais si l’on prend la situation en l’état, il y a un bloc occidental, Europe en tête, contre la Russie. C’est une situation de guerre froide, qui peut devenir une guerre chaude. Et alors là, les questions économiques passent au second plan.

Au-delà de l’économie, quelles vont être les retombées de cet isolement ?

Cette guerre, bien sûr, est un problème pour le soft power, pour l’influence russe. Et ce problème va s’accentuer. Les réactions [exclusion de la Russie de compétitions sportives, de l’Eurovision], à juste titre, ont été très fortes après la tentative d’invasion de l’Ukraine. Et puis les retombées vont être diplomatiques, inévitablement.

Vous avez été ambassadeur en Russie. Vous connaissez de l’intérieur le fonctionnement diplomatique dans le pays. N’a-t-on pas atteint un point de non-retour ?

Le retour à la normale sera très progressif en tout cas. Mais je me demande s’il sera possible avec Poutine. Parce que la confiance ne règne plus et que pour espérer un retour à la normale, il faut un minimum de confiance.

De toute façon, si la paix revient et si une solution est trouvée, les diplomates et les politiques seront pragmatiques. Ils feront avec Poutine. Mais tout de même, il n’y aura plus le niveau de (très relative) confiance qui existait.

Concrètement, qu’est-ce que cela changerait ?

Cela aurait un impact sur le soutien des gouvernements à la signature de grands contrats, à l’appui des entreprises privées. Mais aussi sur les discussions et les accords de comportement envers certains pays, que ce soit en Afrique ou ailleurs… On ne fait rien, en diplomatie, sans un minimum de confiance.

 

Propos recueillis par Alice DAUDRIX pour Ouest France.
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