ANALYSES

Les États-Unis ont promis une réponse aux Russes

Presse
12 janvier 2022
Interview de Arnaud Dubien - L'Humanité



Comment analysez-vous la séquence diplomatique qui s’est ouverte entre la Russie et les États-Unis pour débattre de la sécurité européenne ?

Cette séquence s’est ouverte, lundi, à Genève, par des discussions entre le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Riabkov, et son homologue américaine, la secrétaire d’État adjointe Wendy Sherman. Elles ont porté sur trois chapitres : les garanties demandées par la Russie sur la non-extension de l’Otan, le déploiement militaire américain en Europe, notamment dans l’Est, et le contrôle des armements et des activités militaires en mer Baltique et en mer noire. Il apparaît difficile de dire si ces négociations sont un échec ou un succès. La reprise du dialogue est un changement notable dans l’attitude occidentale. Jusqu’à présent, la Russie a essuyé des refus. Dès 2009, l’ex-président Dmitri Medvedev avait proposé des discussions sur la sécurité européenne, demande à l’époque ignorée par les Américains et les Européens. Il est regrettable que ce type de pourparlers intervienne au terme d’un déploiement massif de l’armée russe aux frontières de l’Ukraine. En attendant, les États-Unis ont promis une réponse écrite aux propositions russes dès la semaine prochaine. Le chef de la diplomatie russe donnera une conférence de presse le 14, on devrait alors y voir plus clair. On peut également penser que Joe Biden et Vladimir Poutine se reparleront prochainement.


Ce sommet bilatéral a agacé les dirigeants européens. Est-ce une véritable mise à l’écart ?

C’est regrettable pour les Européens, en tout cas pour ceux qui souhaitent que l’Europe ait voix au chapitre et s’exprime de façon autonome. D’un autre côté, les Européens ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes. La plupart se sentent en réalité très bien sous protectorat américain. Ils ne souhaitent pas une quel conque autonomie stratégique telle que l’avait esquissée le président français. Les Russes considèrent désormais que l’Europe n’est pas un acteur stratégique autonome et que les questions de sécurité doivent se discuter directement avec Washington.



Peut-on s’attendre à des avancées sur l’Ukraine au terme des négociations actuelles Russie-Otan et Russie-OSCE?

Ces rencontres multilatérales sont perçues comme des appendices décoratifs pour les Russes. Sur l’Ukraine, Moscou a néanmoins repris les discussions dans le cadre du format Normandie (Allemagne, France, Russie, Ukraine). Les conseillers diplomatiques du président français et du chancelier allemand sont allés à Moscou, la semaine dernière, et lundi à Kiev. Si les choses se débloquent sur

le Donbass de façon tangible et rapide avec l’application des accords de Minsk, cela peut aboutir à une neutralisation

de l’Ukraine. Mais les autorités ukrainiennes n’en veulent pas.


De nombreux pays occidentaux craignent une intervention militaire russe en Ukraine. Ce scénario est-il envisageable?

Ce risque existe si aucune avancée n’apparait dans les discussions russo-américaines. Les demandes de la part de Moscou sont connues. II s’agit notamment d’un engagement formel de non-extension de l’Otan et d’une baisse de la présence militaire en Europe. Ces deux premières exigences s’avèrent impossibles à garantir pour les États-Unis. Néanmoins, des progrès peuvent être finalisés dans d’autres dossiers. Évidemment, faute de compromis, le danger existe d’assister non pas à une intervention terrestre de la Russie, mais à des scénarios intermédiaires. Parmi ceux envisagés, des frappes peuvent être effectuées contre certaines infrastructures militaires ukrainiennes, notamment les bases accueillant les drones turcs. Autre hypothèse, Moscou pourrait également annoncer le déploiement de système de missiles à portée intermédiaire dans la partie occidentale de la Russie qui viseraient les pays européens de l’Otan.




En ce début d’année, un autre dossier émerge, le Kazakhstan. Quel est votre point de vue?

Le déroulement des événements qui ont lieu dans ce pays d’Asie centrale demeure assez opaque. Depuis le 2 janvier,
des émeutes ont éclaté contre la vie chère, provoquées par la hausse des prix du gaz de pétrole liquéfié (GPL), en particulier dans l’est du Kazakhstan. La séquence qui s’est déroulée à Almaty, l’ancienne capitale et principale ville du pays, s’avère différente. Les protestations ont vu l’apparition de casseurs et de bandes extrêmement bien organisées qui se sont livrés à des pillages. Durant cette période, il y a également eu un rôle assez trouble des forces de sécurité et des services secrets. En pleine crise, elles se sont absentées des lieux à protéger. Aujourd’hui, des soupçons de collusion et de tentative de déstabilisation du président Kassym-Jornart Tokaïev sont avancés dans un contexte po
litique de transition inachevée avec son prédécesseur Noursoultan Nazarbaïev, encore fortement présent au sein du régime. Ce dernier, qui avait dirigé le pays durant près de trente ans, lui a laissé sa place en 2019, en le désignant comme son dauphin.

Que joue la Russie dans ce dossier?

Moscou a accédé à la demande de Tokaïev de faire appel à l’Organisation du traité de sécurité collective, une alliance militaire dirigée par la Russie. Elle l’avait refusé à plusieurs reprises par le passé. La Russie l’a fait de manière prudente, afin d’assurer la protection des infrastructures stratégiques. Dans cette crise, la Russie intervient au nom
de sa crédibilité, en tant qu’acteur régional et garant de la sécurité de ses alliés. La Russie agit également pour des raisons de sécurité majeure, car elle dispose de plus de 7000 kilomètres de frontière commune avec le Kazakhstan. Et si ce pays devait plonger dans le chaos, en l’absence de frontière sécurisée, tout le sud de la Russie en serait affecté.


Propos recueillis par Vadim Kamenka pour L’humanité.









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