09.12.2024
Le Chili de Gabriel Boric et son environnement international
Presse
24 décembre 2021
Gabriel Boric va-t-il rompre ou poursuivre la politique étrangère de son prédécesseur, Sebastián Piñera ? En clair, quelle est la place de l’idéologie en relations extérieures ? Sebastián Piñera a été un président libéral, de centre droit. Gabriel Boric Font est un chef d’État les pieds bien plantés à gauche. Faute d’informations suffisantes à ce jour, il est difficile d’apporter une réponse pleinement documentée. Cela dit, l’examen de l’héritage Piñera dans sa diversité permet de donner quelques orientations sur ce que pourra être la politique étrangère de Gabriel Boric.
Sebastián Piñera a perpétué une ligne dominante depuis la dictature d’Augusto Pinochet, celle d’une diplomatie avant tout économique. Les accords de libre-échange signés avec les grandes puissances commerciales et technologiques (Chine, États-Unis, Union européenne) ont été respectés, voire renouvelés. Le Chili a résisté aux pressions du gouvernement de Donald Trump l’incitant à réduire le volume et la qualité de ses échanges avec Pékin. Santiago a maintenu sa volonté de traiter avec Huawei pour s’équiper en technologie 5G. Et ce sont des vaccins chinois qui ont été achetés pour immuniser la population.
Le Chili a cherché à valoriser ses acquis, vantés par la presse économique des milieux d’affaires internationaux, en se proposant d’accueillir en 2019 un sommet du Forum du Pacifique (APEC) et la Cop25. Tout en parrainant, avec le Costa Rica, une conférence environnementale latino-américaine, connue sous le nom d’Accord d’Escazú. Les graves évènements sociaux de 2019 n’ont pas permis au Chili d’organiser ces rendez-vous. La Cop25 s’est tenue à Madrid. L’Accord d’Escazú n’a pas été ratifié par le Chili compte tenu d’un scandale écologique et financier ayant affecté le président Piñera.
Le réalisme a imposé ses contraintes avec la région. Sébastián Piñera a systématiquement félicité ses homologues, à peine élus. En dépit d’orientations différentes, le Chili de Piñera a maintenu des relations cordiales avec l’Argentine d’Alberto Fernández et le Mexique d’Andrés Manuel López Obrador.
Mais les relations avec le Venezuela ont pris une tournure plus idéologique que réaliste. Le Chili s’est associé en 2017 au groupe de Lima, constitué, en connivence avec les États-Unis, pour isoler Caracas. Il s’est retiré de la structure intergouvernementale inventée par les gouvernements nationalistes des années 2010, l’UNASUR (Union des Nations d’Amérique du Sud). Il a, pour la remplacer, proposé la création d’une nouvelle alliance PROSUR.
Gabriel Boric va-t-il, peut-il assumer cet héritage ? Oui et non, en dépit du choc tous azimuts donné par une victoire porteuse potentielle d’alternative intérieure comme externe. Priorité sera donnée au voisinage régional demain comme aujourd’hui. Gabriel Boric a reçu les félicitations de tous, de la Colombie au Venezuela, en passant par Cuba et l’Équateur, exception faite du Brésil. Son premier voyage sera argentin, a signalé son entourage, Buenos Aires est un partenaire historique, et stratégique. « Je dois parler à tous », a-t-il dit, quelles que soient les orientations idéologiques de ses homologues. Position confirmant l’ouverture économique du pays. Position cohérente avec les différends territoriaux lointains et non résolus avec la Bolivie et l’Argentine. Position nécessaire encore pour affronter les défis migratoires qui ont pesé sur la campagne électorale, et perturbent la vie sociale d’une société non préparée à recevoir autant de migrants (Haïtiens, Péruviens, Vénézuéliens) en aussi peu de temps.
Parallèlement Santiago devrait confirmer tous les traités commerciaux négociés en particulier avec la Chine, les États-Unis et l’Union européenne. Et en Amérique latine avec les membres de l’Alliance du Pacifique, Mexique, Colombie et Pérou. Selon quelles modalités, cela dépendra des rapports de force au sein de la majorité gouvernementale. Cela dépendra également des compromis à trouver avec l’Union européenne prête à élargir son accord bilatéral selon les propos tenus au soir de la victoire de Gabriel Boric, par son responsable international, Josep Borrell. Cela dépendra enfin d’un compromis à construire avec les États-Unis et la Chine, partenaires essentiels mais mutuellement incompatibles.
Non, il n’y aura pas continuité absolue, dans la mesure où des inflexions sont annoncées. Inflexions liées à la stabilité intérieure dont est porteuse la votation. Stabilité réparatrice qui va permettre au pays de renouer avec ses ambitions extérieures suspendues en 2019 par les « évènements » sociaux ayant paralysé sa diplomatie. Le pays devrait signer l’Accord d’Escazú, visant à protéger l’environnement régional et ses militants. L’équipe présidentielle a laissé entendre que le Chili allait agir en faveur d’une meilleure articulation sud-américaine, en matière de rapports intergouvernementaux et de droits humains. L’intégration économique serait donc écartée. Le Chili pourrait dans ce contexte, même si cela n’a pas, pas encore été indiqué, prendre des distances avec le Groupe de Lima, d’orientation « occidentale », hostile à tout compromis sur le différend vénézuélien. Il pourrait mettre également en sommeil PROSUR, institution de coopération sud-américaine entre gouvernements de droite. Au-delà, au cas où se confirmeraient d’autres alternances progressistes, au Brésil et en Colombie, le Chili pourrait participer à des rencontres de gouvernements progressistes destinées à coordonner des initiatives en faveur du multilatéralisme, de la paix et des avancées démocratiques.
Le président Gabriel Boric sera sans doute sollicité par le groupe des membres de l’ALBA, Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique (Cuba, Nicaragua, Venezuela), qui ont posé les bases le 14 décembre d’une union économique renforcée. Le Parti communiste du Chili, élément important de la majorité, y est favorable. Mais Gabriel Boric et les autres composantes de sa majorité ont pris leurs distances de façon claire et répétée avec les régimes du Nicaragua et du Venezuela, considérés comme non démocratiques.