ANALYSES

Ukraine : un avenir économique et diplomatique incertain ?

Interview
2 novembre 2021
Le point de vue de Jean de Gliniasty
 


Le président Zelensky peine à trouver des réponses efficaces à la situation économique et sociale difficile que connaît l’Ukraine. Menace de la mise en route de Nord Stream 2 pour son économie, conflit « gelé » avec la Russie et relations floues avec les Occidentaux : à ces questions viennent se mêler les intérêts de divers pays, mettant l’Ukraine dans une position délicate. Le point avec Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS, ancien ambassadeur.

Plus de deux ans après son élection, et alors qu’une tentative d’assassinat de son premier conseiller vient d’avoir lieu sur fond de lutte contre la corruption, quel bilan peut-on dresser de l’action du président Zelensky à la tête de l’Ukraine ?

Zelensky avait fait campagne sur le thème de la négociation avec la Russie et de la lutte contre la corruption. Après une élection triomphale avec 73% des voix, il a finalement sauvé une popularité défaillante par une grande fermeté à l’égard de la Russie et un redémarrage de la lutte contre la corruption. La mise à l’écart de l’oligarque Kolomoïsky, soutien de Zelensky, ne s’est pas faite sans heurts. Il n’est pas exclu que la tentative d’attentat contre un conseiller du président soit liée aux péripéties de la lutte contre la corruption. Aussi, Zelensky a-t-il accentué la pression sur les pro-Russes ukrainiens à l’image de l’inculpation en juin dernier de Viktor Medvetchouk, le chef du parti « Plateforme d’opposition », et de la fermeture de ses trois chaînes de télévision russophones.

La situation économique est quant à elle difficile. Le pays fait face aux déficits de ses finances publiques et des transactions courantes, à une inflation attendue à 9% en 2020, et à un endettement de plus de 50% du PIB. Cependant, la croissance revient après la récession de 2020 due au Covid-19 de -4%, avec un rythme annuel estimé à plus 3%. La popularité de Zelensky, mesurée par le dernier sondage de l’Institut international de Sociologie de Kiev le 19 octobre dernier, a par ailleurs baissé significativement depuis son élection. Mais, la dégradation semble freinée : environ un cinquième des électeurs dont le choix est fait voterait encore pour lui en cas d’élections présidentielles (ils étaient un tiers en octobre 2020), et surtout, son principal rival Porochenko ne recueillerait que 15,7% des voix (pourcentage cependant en hausse depuis octobre 2020). La mise en cause du président ukrainien par les Pandora Papers ne devrait donc pas modifier la donne.

Quel avenir pour l’économie ukrainienne et ses relations avec l’Union européenne alors que la mise en service du gazoduc russo-allemand Nord Stream 2 qui permettrait d’alimenter l’Europe en contournant l’Ukraine se rapproche ?

La question du doublement du Gazoduc Nord Stream 2 qui contourne l’Ukraine est une question d’intérêt national pour Kiev qui tire un revenu appréciable des « royalties sur le transit ». Le pays a perdu la bataille depuis que Biden s’est mis d’accord avec Merkel en juin dernier : la suspension des sanctions américaines est conditionnée au maintien d’un flux résiduel de transit à travers l’Ukraine et sans doute un certain appui de l’Allemagne à la politique chinoise de Washington. D’ailleurs, la crise énergétique rend de plus en plus probable une mise en service rapide du gazoduc Nord Stream 2 dont les travaux sont terminés. Soumise à cette concurrence, l’Ukraine a proposé une baisse de 50% du coût du transit. L’Allemagne a quant à elle négocié avec Moscou un maintien d’un minimum de transit à travers l’Ukraine ; et Kiev a signé un accord d’approvisionnement en gaz avec Gazprom.

Également, dans un contexte sinon apaisé, du moins stabilisé, l’Ukraine a obtenu la reprise de l’aide du FMI (« accord Stand By » de 2020 portant sur 5 milliards de dollars) qui avait été gelée à cause d’insuffisantes performances en matière de lutte contre la corruption et de réformes institutionnelles. L’accord vient d’être prolongé jusqu’en juin 2022 et une nouvelle tranche de 700 millions de dollars a été débloquée.

Si le pire a été évité, l’économie ukrainienne n’est cependant pas très brillante.

Alors que les États-Unis continuent d’accuser la Russie de faire obstacle à une résolution pacifique du conflit ayant toujours cours à l’est de l’Ukraine et soutiennent militairement le gouvernement ukrainien, quelle est la situation sécuritaire dans cette zone ? Que peut-on dire de ce jeu d’alliance sur fond de souhait ukrainien d’intégration de l’OTAN ?

Le conflit dans le Donbass devient un « conflit gelé ». Les accords de Minsk, en dehors des invocations rituelles, sont durablement paralysés. L’Ukraine considère la Russie comme un belligérant et non comme un médiateur. Aussi, a-t-elle remis sur le tapis la question de la Crimée qui ne figure pas dans les accords à l’occasion de la réunion de la « Plateforme de Crimée » réunissant 46 chefs d’État, Premiers ministres et ministres en août dernier.

Dans les faits, plus personne ne veut de ces accords : la population du Donbass préfère être rattachée à la Russie (650 000 personnes ont d’ailleurs reçu un passeport russe), les Ukrainiens ne veulent plus s’encombrer à des conditions défavorables pour eux d’une province rebelle opposée à sa politique pro-occidentale, les Russes jouent le pourrissement de la situation, etc. Seules l’Allemagne et la France y tiennent vraiment, car cela permettrait de débloquer la situation dans le centre de l’Europe et y  faire baisser les tensions. Les Américains, sollicités par Kiev pour participer au Format Normandie (France, Allemagne, Russie et Ukraine) qui est en quelque sorte le garant des accords de Minsk, s’en sont abstenus.

On perçoit à Washington une certaine fatigue de la crise ukrainienne. Biden n’a pas vu Zelensky avant de rencontrer Poutine à Genève en juin dernier et ne l’a finalement reçu que le 1er septembre dernier. S’il a renouvelé son aide militaire à Kiev, et sans doute donné des assurances sur le maintien des sanctions, il n’a pris aucun engagement sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, considérée comme une ligne rouge à Moscou. De même lors du Sommet Ukraine/Union européenne à Kiev le 23 octobre dernier, Ursula Von der Leyen et Charles Michels n’ont ouvert aucune perspective d’adhésion à l’Union européenne. En attendant, en dehors des gesticulations militaires de part et d’autre (manœuvres Zapad 2021 du côté russe et manœuvres Defender 2021 du côté de l’OTAN), les États-Unis semblent veiller à ce que le conflit reste de très basse intensité. Biden avait ainsi téléphoné à Poutine en mai dernier pour faire baisser la tension. Si chacun des deux principaux protagonistes voit des avantages au maintien du statu quo, aucun ne souhaite voir la situation dégénérer.
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