ANALYSES

Mexique : reconquérir la souveraineté perdue… en Espagne ?

Tribune
4 octobre 2021


Espagne et Mexique ont, depuis l’accession d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO) à la présidence en décembre 2018, des relations difficiles. Ces rapports ont pris un tournant bien compliqué ces dernières semaines à l’occasion de commémorations patriotiques mexicaines célébrées en cascades…

Le Mexique a honoré le 24 juillet la mémoire du « Libérateur » sud-américain, Simon Bolivar, et le 13 août les vaincus « indigènes » de la conquête espagnole. Le 24 août, le 200e anniversaire du Traité signé à Cordoba sanctionnant la défaite du vice-roi espagnol, et le 28 août le 200e anniversaire de l’indépendance du Chiapas, ont fait l’objet de manifestations en présence du chef de l’État. Enfin, le 27 septembre, une journée solennelle a été consacrée au souvenir de l’entrée à Mexico en 1821 des troupes du général créole Agustín de Iturbide, qui après avoir changé de camp, a proclamé l’indépendance et la création d’un Empire.

Le président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, a reçu en ces différentes occasions les délégations de nombreux pays étrangers, américains comme asiatiques et européens. À l’exception de celle d’Espagne. Seul l’ambassadeur a fait acte de présence, assurant un minimum protocolaire. Au-delà de ces évènements en eux-mêmes difficiles à vivre pour l’ancienne puissance coloniale, leur contexte conflictuel volontairement ravivé, permettaient-ils à Madrid d’être présente ?

Le chef de l’exécutif mexicain, en effet, a demandé publiquement à l’Espagne, depuis sa prise de fonction le 1er décembre 2018, de présenter ses excuses pour avoir colonisé le Mexique en 1521. Il a écrit au Roi, Philippe VI, le 1er mars 2019 pour lui demander un pardon public. Il a signalé à plusieurs reprises, pour le regretter, qu’il n’avait reçu aucune réponse de sa part : en novembre 2019, en août et septembre 2021.

Le président du gouvernement espagnol, le socialiste Pedro Sánchez, s’est bien rendu au Mexique les 30 et 31 janvier 2019 pour prendre contact avec un chef d’État qui ne se déplace pas à l’étranger : un homologue qui est membre lui aussi d’une formation de gauche, le MORENA (Mouvement de régénération nationale). Il venait qui plus est pour remercier le Mexique d’avoir accueilli, à l’issue de la guerre civile espagnole, près de 25 000 réfugiés républicains. Ce contact bilatéral est pourtant resté sans suite. L’Espagne, après avoir hésité, s’est depuis enfermée dans une position d’attente.

Vue d’ailleurs, la perpétuation de ces bisbilles a un côté insolite. La responsabilité des Espagnols d’aujourd’hui pour des faits remontant à cinq cents ans ne va pas de soi. D’autant plus qu’au Mexique comme ailleurs en Amérique latine, les indépendances ont été le fait de créoles d’origine espagnole qui ont perpétué la marginalisation des populations autochtones et africaines. À l’exception de Benito Juárez, d’Agustín de Iturbide  à AMLO, tous les chefs d’État mexicains ont été et sont d’origine européenne. La mère d’AMLO est fille d’un émigré républicain espagnol né à Santander. Loin d’être les héritiers directs des Aztèques, les Mexicains d’aujourd’hui sont des sang-mêlé, comme leur président.

Pourquoi donc dans un tel contexte cet acharnement mexicain anti gachupin[1] ? D’autant plus que les contraintes actuelles pesant sur le Mexique, qu’elles soient économiques, migratoires, politiques, sanitaires, sécuritaires, ne sont manifestement pas espagnoles. Elles sont nord-américaines. De plus, près de 50% du territoire mexicain a été annexé de 1846 à 1853 par le voisin du Nord. En dépit de ces réalités historiques comme d’aujourd’hui, le seul déplacement à l’étranger, effectué par AMLO, casanier par principe, aura été un voyage à Washington pour rencontrer à quelques semaines des présidentielles, le président candidat Donald Trump.

L’agenda extérieur du Mexique est soumis aux desiderata de Washington qu’il s’agisse de commerce bilatéral, de sécurité, ou de gestion des flux migratoires. La garde nationale, par exemple, voulue par AMLO pour assurer la sécurité intérieure, est déployée aux frontières pour freiner les flux de migrants. Comme les États-Unis, le Mexique organise depuis la fin septembre des vols rapatriant les Haïtiens volontaires vers Port-au-Prince.

Pour briser cette contradiction entre suivisme des États-Unis et défense de la souveraineté, la parole d’AMLO cible l’intrus ingérant d’avant : le colonisateur espagnol. Plus la pression venue du Nord s’accentue, plus le discours officiel rappelle les méfaits commis par Madrid il y a cinq siècles. Ces discours sont certes accompagnés de déclarations valorisant le multilatéralisme, la défense de la souveraineté collective et en particulier celle de Cuba en présence de son président. Mais en même temps, AMLO a souhaité dans l’une de ses interventions que les États-Unis « aient une économie forte » pour que la souveraineté latino-américaine ne soit pas, à l’horizon 2050, menacée par la puissance montante de la Chine.

Le ministère espagnol des Affaires extérieures n’a eu d’autre option que celle de signaler son absence à ces cérémonies patriotiques agressives, faute d’avoir reçu une invitation officielle. Seule consolation pour Madrid, du Chiapas l’EZLN (Armée zapatiste de libération nationale) a adressé un message cinglant au président AMLO : « Ça suffit de manipuler le passé lointain pour justifier avec démagogie et hypocrisie les crimes actuels… De quoi va donc nous demander pardon l’Espagne ».

 

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[1] Sobriquet donné au Mexique à tous les Espagnols. La mère d’AMLO est fille d’un exilé républicain originaire des Asturies.
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