ANALYSES

Du danger d’une escale à Miami

Tribune
21 juillet 2021


Professeur invité à Sciences Po Paris depuis 2015 et ancien vice-ministre des Affaires étrangères de la République bolivarienne du Venezuela (2007-2013), Temir Porras donne régulièrement, depuis des années, des conférences publiques en France et en Europe sur l’actualité géopolitique de l’Amérique latine, comme cela a été le cas par exemple à l’IRIS en avril 2019 et le 8 juillet 2021.

Ce dernier a fait l’objet de procédures arbitraires de la part des autorités migratoires des États-Unis lors d’un voyage professionnel qu’il effectuait dans la Caraïbe le 13 juillet 2021. Tandis qu’il faisait simplement escale à Miami dans le cadre de ce voyage , il a été intercepté par le Service des douanes et de la protection des frontières des États-Unis – le US Customs and Border Protection – avant de quitter le territoire. Dans le cadre de ses activités professionnelles et publiques, Temir Porras voyage régulièrement, muni de son visa, aux États-Unis depuis de nombreuses années. Il participe régulièrement à des conférences, des séminaires et des réunions à Washington ou New York avec des représentants du Congrès des États-Unis et de nombreux « think tanks » spécialisés sur la politique étrangère du pays en Amérique latine. Et ce, dans le cadre de débats et de réflexions sur la situation politique au Venezuela. Il contribue régulièrement à de nombreux débats sur le sujet dans les médias.

Pourtant, sa présence tout à fait temporaire et légale sur le territoire étatsunien n’a pas empêché les autorités de l’arrêter et de l’interroger sans motif apparent et approprié. Et ce, pendant 36 heures au cours d’une procédure dont il n’aura été informé qu’à l’issue de sa détention. Dépossédé de toute capacité de communiquer avec l’extérieur, avec sa famille ou un avocat, Temir Porras s’est ainsi vu forcé de remettre tous ses appareils électroniques (téléphone, ordinateur, tablette), ainsi que chacun des codes utilisés pour les activer, aux agents de l’US Customs and Border Protection. Pendant les douze premières heures de sa détention passée dans une salle d’attente, ces derniers ont pu minutieusement consulter chacun de ses appareils, peut-être en absorber toutes les données disponibles, et imposer à Temir Porras un interrogatoire de nature intégralement politique. Ainsi, ce dernier s’est vu contraint de répondre à de nombreuses questions sur ses activités passées en tant que haut-fonctionnaire du Venezuela, sur ses contacts dans le pays et à l’étranger, sur sa vie personnelle et professionnelle actuelle. Cet interrogatoire arbitraire, conduit par un agent en civil à l’accent vénézuélien, s’est prolongé par le transfert de Temir Porras dans une cellule sans lumière extérieure, fermée par une porte à barreaux et sous verrou. Dépouillé de ses effets personnels (jusqu’aux lacets de ses chaussures), il a dû y passer 24 heures supplémentaires, sans n’avoir jamais pu savoir ce qui lui était reproché ou simplement à quel titre il subissait ce traitement et cet interrogatoire sans lien avec des questions migratoires et sa situation de voyageur en transit. Et ce, dans des conditions sanitaires – en temps de Covid-19 – déplorables (draps sales, sol jonché de restes de nourriture, pas de savon pour se laver les mains, personnel sans masque, etc.).

Au terme de ces 36 heures de détention, Temir Porras a pu passer un appel téléphonique à sa famille en Amérique latine. Il a ensuite été immédiatement expulsé du territoire étatsunien vers la République dominicaine dans le cadre d’un « Notice and Order of Expedited Removal » délivré par l’US Department of Homeland Security. Ce dernier l’accuse d’être un « immigré sans possession d’un visa (…) valide (ou) de tout autre document d’entrée valide » sur le territoire des États-Unis et sur lequel pèse une « présomption d’être un migrant intentionnel ».

Temir Porras aurait donc, selon les autorités américaines, voulu entrer illégalement sur le territoire des États-Unis pour s’y installer clandestinement… Et ce, tandis qu’il faisait juste escale à l’aéroport de Miami pour repartir vers sa destination caribéenne. La détention et l’interrogatoire subis par Temir Porras n’ont jamais porté sur des questions migratoires – infondées de surcroit dans son cas -, mais sur ses activités politiques et personnelles. Ainsi, il a été victime d’une procédure arbitraire et humiliante contrevenant au respect du droit élémentaire des personnes dans un régime démocratique. Au-delà du cas personnel de Temir Porras, cette dérive des autorités étatsuniennes illustre comment la question migratoire peut servir, pour un État, de prétexte pour la mise en place de politiques répressives, autoritaires et de surveillance politique des individus, quels que soient leur statut, leur fonction ou leur activité. Elle rappelle également par ricochet comment la dignité des personnes migrantes est chaque jour foulée au pied aux États-Unis comme en Europe.

 
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