ANALYSES

Joe Biden ou l’apprenti Jedi

Correspondances new-yorkaises
7 juin 2021


En janvier, Facebook avait suspendu le compte de Donald Trump, sans annoncer la durée de cette sanction.

Il y a quelques jours, le couperet est tombé. Le réseau social vient de décider de fermer pour au moins deux ans le compte de l’ancien président des États-Unis.

« La décision de Facebook est une insulte aux 75 millions de personnes qui ont voté pour nous en 2020 », a aussitôt répliqué le Donald dans un communiqué, ajoutant que le géant des réseaux sociaux « ne devrait pas être autorisé à s’en tirer avec cette censure et ce muselage ».

En effet, après la récente clôture de son compte Twitter et la décision qui vient d’être prise par Facebook, on peut vraiment parler de muselage en ce qui concerne le milliardaire new-yorkais.

Certes, l’homme est détestable et ses tweets trop souvent injurieux et mensongers. Certes, son comportement et ses propos lors de l’invasion du Capitole par ses supporters sont plus que condamnables, mais ce n’est pas à Jack Dorsey, ni à Mark Zuckerberg, respectivement patrons de Twitter et de Facebook, de décider qui peut s’exprimer ou qui détient la vérité.

Outre que cette atteinte flagrante à la liberté d’expression ne fait que renforcer l’image d’un Trump martyr auprès de ses aficionados, plus nombreux que jamais selon les dernières enquêtes d’opinion, elle radicalise également un peu plus un parti républicain toujours à la botte de l’ex-président – voir la récente opposition des républicains du Sénat à la création d’une commission indépendante chargée d’enquêter sur les troubles survenus le 6 janvier au Capitole.

Chose curieuse, cette attaque sans précédent contre la liberté d’expression qui ne laisse rien augurer de bon d’un monde de plus en plus dépendant des GAFA, semble avoir laissé indifférent l’actuel président américain en exercice, Joe Biden.

Ce dernier qui s’apprête à s’envoler pour le sommet du G7 qui débute ce 11 juin à Carbis Bay, au Royaume-Uni, avec dans sa valise son projet pour une « alliance des démocraties » semble décidément voir la paille dans l’œil du voisin, mais pas la poutre dans le sien.

Car si ce projet d’alliance, qui devrait être lancé lors d’un « sommet pour la démocratie » et dont l’un des objectifs majeurs, au-delà de l’union des dites démocraties, est d’offrir un contre-modèle aux nations qui seraient tentées par l’autoritarisme, peut sembler douteux, il y a une chose qui est certaine, c’est que les États-Unis ne sont pas aujourd’hui les plus à même de proposer une image attractive du camp démocrate.

Une République américaine qui encore récemment a pu sembler être en état de siège, des éruptions de violence quasi quotidiennes, d’innombrables divisions au sein du pays, qu’elles soient culturelles, ethniques, religieuses ou politiques, des atteintes à répétition à l’état de droit et aux libertés fondamentales… Tout cela ne fait pas très sérieux.

Des pays comme le Canada, démocratie parlementaire et multiculturelle apaisée, à la fois empreinte de traditions et de modernité, ou encore la Suisse, dont le système basé sur la participation est un succès, seraient sans conteste plus à même de porter le projet avec crédibilité.

Alors, avant d’aller jouer les Jedi avec une pseudo alliance des démocraties – bonjour les relents de guerre froide – qui selon moi ne ferait qu’accroître la division du monde, le président américain ferait bien tout d’abord de balayer devant sa porte.

Car si un vrai travail de refonte de la démocratie en Amérique n’est pas entrepris, si des atteintes à la liberté d’expression comme celles que viennent de commettre Twitter et Facebook se poursuivent, il se pourrait bien que la vieille République américaine ne puisse pas tenir le coup.

Et comme je l’ai déjà écrit dans ces mêmes colonnes, son effondrement au cours des prochaines décennies pourrait entraîner une dynamique similaire à celle de la vague des révolutions qui avaient suivi sa proclamation en 1776.

Mais cette fois-ci, la vague ne serait pas porteuse de libertés et d’espérances. Elle aurait plutôt tendance à apporter une réponse positive à Jean-François Revel qui, en d’autres temps et dans d’autres circonstances, se demandait si la démocratie occidentale, alors déjà quelque peu souffreteuse, n’était pas qu’une infime péripétie, une parenthèse dans l’histoire.

J’entends déjà le rire de l’empereur Palpatine.

——————————–

Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.
Sur la même thématique