ANALYSES

Riposte à la taxe numérique : « Google craint pour son modèle économique »

Presse
5 mars 2021
Interview de Charles Thibout - Marianne
En juillet 2019, la France s’était positionnée en pointe sur la taxation des Gafam. Depuis, cette imposition a été fortement décriée par les géants du web qui ont pris des mesures de rétorsion. Ce mercredi 3 mars, c’est au tour de Google de décider d’imputer à ses clients une hausse de 2 % sur le coût des publicités. Analyse avec Charles Thibout chercheur associé à l’Iris pour Marianne.

Cette « contre-attaque » de Google est-elle surprenante ?


Google est en train de se faire attaquer de toute part. D’abord en Europe et plus récemment Australie. En raison d’un projet de loi visant à contraindre les géants de l’Internet à rémunérer les groupes de presse locaux pour leurs contenus, le groupe avait été containt de signer un gros chèque à l’empire médiatique de Rupert Murdoch, patron notamment de Fox News.


Les Gafam sont désormais menacés directement chez eux, aux États Unis. Le régulateur américain souhaite prendre des sanctions exemplaires, voire démanteler ceux qu’il juge trop puissants. Certains démocrates – pourtant des soutiens historiques à ces entreprises – sont eux aussi favorables à des sanctions, à l’instar d’Élisabeth Warren, issue de la frange la plus à gauche du parti.


Google semble donc reculer et adopter une position défensive. Ils ont besoin de rééquilibrer ce rapport de force en montrant qu’ils ne laisseront pas leurs intérêts non défendus. ​​​​​Ils pourraient même, si la situation le requiert, se montrer plus agressifs. De plus ils ne sont pas si mal armés, et peuvent prendre des mesures de rétorsion, même si cela ne semble pas être dans leur interêt. Pour preuve, ils essaient davantage d’agir de manière subtile comme avec les grands groupes de presse, en négociant dans l’ombre pour éviter des décisions de justice trop encombrantes.


La position de la Commission européenne, qui semble décidée à leur barrer la route depuis les 4 dernières années, est plus inédite. Il y a eu de nombreuses amendes de plusieurs milliards d’euros. À la suite de cela, la société a craint de voir son modèle économique fortement affecté. Voila pourquoi ils réagissent ainsi en montrant les muscles.

Les Gafam militent pour la mise en place d’une taxe internationale par le biais de l’OCDE, en quoi cela les avantagerait-il ?

Ils ont besoin de simplification. Il est vrai qu’il est difficile pour une grosse entreprise d’ajuster son mode de fonctionnement économique et législatif en opérant partout dans le monde. Ce besoin constant de mise en conformité juridique est comme une épine dans le pied.


Ce n’est donc pas un hasard qu’ils prônent l’adoption d’une taxe internationale auprès de l’OCDE. Ils savent aussi très bien que cette instance est dominée par les Etats-Unis, qui ne se sont jamais montrés très offensifs contre eux, et qui restent quoi qu’il advienne un allié de taille. Du côté de la Silicon Valley, on se dit aussi que si une solution internationale devait advenir, elle serait beaucoup plus souple et avantageuse qu’un consensus à la française. Google table sur une taxe faible de type 2% maximum.


 Quelle influence le président américain Joe Biden et son entourage peuvent-ils avoir sur la question d’une taxe internationale ?


Tout d’abord, il faut comprendre que Joe Biden est un soutien de longue date de ces grandes entreprises. Dans son entourage il y a Eric Schmidt (N.D.L.R : PDG de Google de 2001 à 2011), qui a été un conseiller très proche de Barack Obama, et qui l’a notamment aidé à financer sa campagne. Eric Schmidt a aussi été dans le conseil économique et technologique du gouvernement Obama. L’homme joue toujours un rôle important dans l’environnement de Joe Biden, et a été présenté comme un possible candidat voué à diriger une task force sur les questions économiques et scientifiques.


Le Président n’a donc pas envie de s’aliéner ces entreprises. Mais la pression populaire, qui demande davantage de contrôle sur l’utilisation des données personnes, avec le scandale de Cambridge Analytica en ligne de fond, pourrait le faire changer d’avis. Il y a aussi la Vice-Présidente Kamala Harris, qui est dans une position singulière. Son beau-frère, qui était aussi son chef de cabinet quand elle était en poste en Californie, est le directeur juridique d’Uber.


Il ne faut pas oublier non plus qu’une très large majorité des lobbyistes employés par Google sont issus de l’Administration Fédérale de la Maison Blanche et du Congrès. Entre 2012 et 2020 Google a employé 104 lobbyistes par an, et 88 % d’entre eux travaillaient dans ces administrations. Il est sûr que toutes ces personnes lutteront pour faire tourner les négociations internes à l’avantage de Google.
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