ANALYSES

Oman : les enjeux de la modification de sa loi fondamentale et de la transmission du pouvoir

Tribune
15 janvier 2021


À l’occasion du premier anniversaire de son accession au trône, le sultan Haïtham Bin Tarek Al Saïd a décidé de réformer la loi fondamentale du pays en modifiant le mode de transmission du pouvoir qui devient héréditaire. Il institue par la même occasion la fonction de prince héritier qui n’avait jamais existé auparavant.

La décision du sultan n’est pas une surprise. Son mode de gouvernance est différent de celui de son prédécesseur. Qabous Bin Saïd, qui n’avait pas d’héritier, s’était farouchement opposé à désigner un successeur de son vivant. Il craignait sans doute d’être renversé comme lui-même l’avait fait avec Saïd bin Timour, son père, le sultan autocrate qui avait gouverné et maintenu Oman dans le Moyen-Âge jusqu’à sa chute en 1970.

La loi fondamentale du Sultanat prévoyait jusque-là que le conseil de la famille royale (composé de 24 membres) choisisse, dans les trois jours suivant la vacance du trône, un successeur. En cas de désaccord seraient ouvertes les deux lettres testamentaires déposées à Mascate et à Salalah qui désignent la personne préalablement choisie par le sultan pour lui succéder.

Qabous a laissé planer l’incertitude qui n’a été levée qu’à sa mort le 10 janvier 2020 quand le conseil de famille, qui regroupe les principaux princes de la famille royale, a décidé d’ouvrir les enveloppes (sans attendre les trois jours qui lui étaient accordés) contenant les dernières volontés du défunt sultan. Le choix de Qabous qui n’avait pas d’héritier direct s’est porté sur son cousin Haïtham Bin Tarek alors que les spéculations alimentées par la longue maladie du sultan penchaient plutôt pour son frère non utérin As’ad Bin Tarek.

Très tôt le nouveau sultan a imposé un nouveau style, à commencer par la mise en avant de sa propre famille. Haïtham Bin Tarek est le père de deux fils Dhi Yazan (né en 1990) et Bel Aaarab et de deux filles, le sultan Haïtham a également mis en avant son épouse Sayeda Aahd bint Abdullah Al Busaïdi qui est apparue en public à l’occasion de plusieurs manifestations en faveur des femmes omanaises.

Le fils aîné du sultan Dhi Yazan (Zi Yazan) qui après des études à Oxford avait entamé une carrière diplomatique en tant que secrétaire à l’ambassade d’Oman à Londres a été rappelé pour faire partie du cabinet de Youssef Bin Alawi, l’ancien ministre des Affaires étrangères qui était resté en place une trentaine d’années. Dhi Yazan a ensuite été nommé ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports avant d’être finalement désigné comme prince héritier. Ascension rapide pour ce trentenaire qui n’est pas sans rappeler celle de Mohamed Ben Salman.

La nouvelle loi fondamentale institue pour la première fois dans l’histoire d’Oman une transmission héréditaire directe par la primogéniture. Elle abolit la tradition de consensus, même formel, qui avait été mise en place depuis le temps de la dynastie des Imams yarubides pour désigner le sultan.

Les nouvelles dispositions sont très précises et ne laissent place à aucune ambiguïté ni spéculation. L’article 5 de la nouvelle loi stipule que le système de gouvernance est héréditaire chez les descendants mâles du sultan Turki bin Said bin sultan conformément aux dispositions suivantes : le pouvoir passe du sultan à son fils premier-né, puis à son fils aîné et par conséquent le pouvoir passe d’une strate à l’autre. Au cas où le fils aîné du sultan décède avant d’assumer le pouvoir, la succession doit être transférée à son fils aîné même si le défunt a des frères. La loi stipule également que dans le cas où la première personne en ligne de succession n’a pas de fils, la règle passe automatiquement à son frère aîné, et s’il n’a pas de frère, la succession passe au fils aîné de son frère aîné, et si son frère aîné n’a pas de fils la succession est transférée au fils aîné de ses autres frères selon l’ordre d’âge des frères. La loi stipule que dans le cas où l’héritier du trône n’a pas de fils ou de frères, la succession doit être transférée à ses oncles et à leurs fils selon l’ordre d’âge susmentionné. Le successeur du sultan doit être musulman, sain d’esprit et fils légitime de parents musulmans omanais. En outre, la Loi fondamentale de l’État stipule que si la succession est transférée à une personne de moins de 21 ans, le pouvoir du sultan doit être exercé par un conseil des gardiens nommé par le sultan. Au cas où un Conseil des gardiens n’aurait pas été nommé, le Conseil de la famille royale devrait nommer un Conseil des gardiens comprenant l’un des frères du sultan et deux de ses cousins.

Par ailleurs, un décret devrait fixer dans les prochains jours les prérogatives et fonctions du prince héritier nouvellement institué.

Oman jusqu’ici faisait figure d’anomalie. Toutes les monarchies du Golfe ont un prince héritier désigné à l’exception du Qatar où la fonction existe, mais qui n’a pas été désigné par l’émir Tamir Bin Hamad.

Ces mesures viennent consolider la stratégie de pouvoir que le nouveau sultan met en place depuis son accession au trône. Il sait que son pays est confronté à une grave crise économique et doit résoudre le problème de l’emploi des jeunes qui arrivent sur le marché et qui peinent à s’y insérer. La crise du Covid-19 comme partout dans le monde a accentué cette difficulté privant Oman du tourisme, une ressource importante. Il sait aussi que la levée des subventions sur l’eau et l’électricité et l’introduction d’une TVA à partir d’avril prochain accentueront le mécontentement d’une population qui jusqu’ici a été choyée en échange de la paix sociale. C’est sans doute la raison pour laquelle, Haïtham Bin Tarek a décidé de concentrer le pouvoir dans les mains d’un cercle restreint de personnes sur lesquelles il peut compter.
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