ANALYSES

[L’Amérique post-Trump vue du campus] Cinq questions à Michael John Williams

Interview
6 janvier 2021
Entretien avec Michael John Williams, directeur du programme de relations internationales de l’université de Syracuse (État de New York), et co-directeur de la revue International Politics. Réalisé par Romuald Sciora, essayiste, chercheur associé à l'IRIS.


« Vue du campus » est une minisérie de courtes interviews réalisées par Romuald Sciora, essayiste et chercheur associé à l’IRIS, auprès d’universitaires états-uniens. Chacun d’entre eux, via son champ d’expertise, tentera d’ici au 20 janvier 2021, jour de l’inauguration de la prochaine administration américaine, d’anticiper ce que sera la politique étrangère de Joe Biden.

Cette semaine, c’est Michael John Williams, directeur du programme de relations internationales de l’université de Syracuse, basée dans l’État de New York, et co-directeur de la revue International Politics, qui nous livre son analyse. Il est un spécialiste reconnu de l’OTAN.

Que pensez-vous du choix d’Anthony Blinken comme futur chef de la diplomatie américaine ?

La sélection de Blinken par Biden pour diriger le département d’État constitue un choix judicieux et reflète deux points importants. Le premier point est que le département d’État ayant été totalement déstabilisé par quatre années de négligence absolue a un besoin urgent de se renouveler sous la direction d’un dirigeant professionnel au fait des grands enjeux internationaux. Anthony Blinken est indiscutablement l’homme de la situation, prêt à aborder avec fermeté et humilité des dossiers urgents comme la montée en puissance de la Chine et le programme nucléaire iranien, sans parler de la pandémie actuelle et du changement climatique.

Le second point est que le Sénat étant sous le contrôle des républicains, le candidat au poste de secrétaire d’État doit être confirmé par ces derniers. Blinken, un habitué des arcanes politiques de Washington, est très respecté aussi bien par les démocrates que par les républicains. Il devrait donc être confirmé sans problème et ne devrait pas être par la suite l’objet d’incessantes et stériles attaques partisanes. Ce qui lui permettra de travailler sereinement au redressement d’une diplomatie américaine ravagée par les années Trump.

Même enthousiasme pour ce qui est de la nomination de Jake Sullivan au poste de conseiller à la sécurité nationale ?

La sélection de Jake Sullivan en tant que conseiller à la sécurité nationale marque le passage d’une génération à l’autre. Sullivan, 44 ans, est le premier conseiller à la sécurité nationale de la génération du millénaire. Sullivan est devenu adulte à l’ombre du 11 septembre et de l’invasion désastreuse de l’Irak par les États-Unis. Il est donc très conscient des limites de la puissance américaine – en particulier de la puissance militaire américaine. Il comprend la nécessité de travailler avec des alliés et de parler avec des ennemis. Architecte de l’accord nucléaire iranien, il croit en la diplomatie et en la résolution pacifiques des conflits. Donc oui, même enthousiasme.

L’élection de Joe Biden est-elle une bonne nouvelle pour l’OTAN ?

L’élection de Biden est une excellente nouvelle pour l’OTAN dans la mesure où le président élu et ses collaborateurs ont conscience de l’importance de notre alliance avec les Européens et considèrent cette organisation comme un élément fondamental de la sécurité internationale et de l’hégémonie américaine.

Quels sont aujourd’hui les principaux défis auxquels l’OTAN doit faire face ?

Les problèmes auxquels l’OTAN est confrontée sont nombreux et ne disparaîtront pas comme par magie. Le manque d’investissement dans la défense par les alliés européens reste problématique, à la fois politiquement aux États-Unis, mais aussi en termes d’élargissement du fossé d’interopérabilité entre les armées américaines et européennes. L’illibéralisme politique affiché par des États membres comme la Pologne et la Hongrie constitue un défi majeur au sein même de l’OTAN, la montée de nouveaux radicalismes en Afrique et au Moyen-Orient et le revanchisme russe à l’Est n’en finissent pas quant à eux de déstabiliser les relations internationales.

Joe Biden va donc s’atteler à tous ces chantiers et essayer de régénérer l’Organisation, mais pour cela il va avoir besoin de l’aide de ses principaux alliés européens. Et avec quelqu’un qui comme Emmanuel Macron déclare que l’OTAN est en « mort cérébrale », il n’est pas certain que cela aille de soi.

Quid des relations avec la Russie ?

Les proches conseillers de Biden tels que Tony Blinken, Jake Sullivan, Julie Smith et Mike Carpenter pour n’en citer que quelques-uns, sont tous très sceptiques à l’égard de la Russie de Poutine. La politique américaine envers la Russie consistera donc très probablement à continuer à isoler Moscou politiquement et économiquement. Mais guère plus. Je ne m’attends à aucun changement majeur quant au dossier concernant l’annexion de la Crimée par exemple.
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