ANALYSES

L’Amérique XXL

Correspondances new-yorkaises
4 janvier 2021


De nouveaux chiffres viennent de tomber, et ils ne sont pas bons : les Américains sont de plus en plus gros.

Le problème de l’obésité et la manière dont il est traité sont représentatifs de l’état de déliquescence générale du système de santé aux États-Unis et expliquent en grande partie pourquoi le pays de l’Oncle Sam est champion du monde en nombre de victimes du Covid-19.

L’accès aux soins médicaux a certes changé sous l’ère Obama. Sans avoir pu instaurer un système de santé universel, son administration a tout de même fait quelques pas en avant : depuis le 1er janvier 2014, un assureur ne peut plus refuser d’assurer quelqu’un même si cette personne a ce qu’on appelle une condition préexistante.

Mais prendre une assurance est devenue en contrepartie obligatoire pour tous. Et si on ne peut bénéficier ni de celle de son employeur ni de Medicare ou Medicaid -deux programmes de couverture de soins gouvernementaux créés par Lyndon Johnson en 1965, afin de permettre en théorie l’accès aux soins aux personnes âgées et à la population à très faible revenu-, s’assurer coûte excessivement cher. Même avec quelques aides des autorités. Jusqu’à 30%, voire plus, du revenu mensuel d’un couple de la classe moyenne inférieure !

Certaines personnes font donc fi de la loi estimant qu’elles ne sont jamais malades et que payer une assurance serait jeter l’argent par les fenêtres. D’autres ne veulent pas qu’on se mêle de leur « business » et sont réfractaires à tout ce qui peut être perçu comme intrusif dans leur vie. Certains pourraient bénéficier de Medicaid, mais ne souhaitent pas d’aide de l’État, car ils trouvent honteux de devoir en dépendre et ne veulent pas être catégorisés comme parasite. En effet, quarante années d’un libéralisme débridé ont rendu la pauvreté a shame. Si vous avez perdu votre travail et êtes une mère célibataire avec deux enfants qui ne peut plus joindre les deux bouts, vous n’avez qu’à vous en prendre à vous même !

Plus de trente millions d’Américains n’ont donc aucune sorte d’assurance ni aucun accès aux soins. D’où des santés très précaires et un nombre de morts du Covid-19 exponentiel dans les communautés les plus pauvres, essentiellement les communautés afro-américaines et hispaniques.

Quant à la malbouffe et l’obésité aux États-Unis, commencer à lire des études et articles sur ce sujet vous fait rapidement arrêter de plonger la main dans le sac de chips que vous aviez posé sur votre bureau. Les chiffres sont terrifiants et coupent toute envie de comfort food.

En 2018, on dénombrait neuf États américains avec un taux d’obésité de plus de 35%, soit deux États de plus à ce niveau qu’en 2017. Le taux d’obésité varie toutefois considérablement entre États. Le Mississippi et la Virginie-Occidentale ayant le taux le plus élevé à 39.5%, 27.6% pour l’État de New York, suivi par le Vermont, le Connecticut et le Montana. 25.8% pour la Californie, le Massachusetts, le New Jersey. Hawaï et le District de Columbia sont légèrement en dessous – entre 25.7% et 24.7% -, quant au Colorado, il a le taux d’obésité le plus bas, situé à 23%. Ce qui représente toutefois près d’une personne sur quatre, ce qui reste considérable !

Si on regarde une carte des États-Unis, le premier tiers des États à l’Est du pays aura un taux entre 25 et 30%. Les États au Centre et à l’Ouest auront tous un taux entre 30 et 40%…

Les conséquences sur la santé de la population sont énormes. Le surpoids et l’obésité favorisent certaines maladies chroniques comme les maladies cardiovasculaires, le diabète, les troubles musculo-squelettiques comme l’arthrose, de nombreux cancers et aujourd’hui le Covid-19 !

Bien évidemment, l’obésité aux États-Unis touche en majorité une population plutôt défavorisée et peu instruite. Les individus avec un petit revenu sont plus à risque. Ayant peu ou pas le temps de prendre leurs repas à la maison, en famille, à horaires réguliers. En outre, beaucoup de quartiers n’offrent que peu ou pas d’options de nourriture saine ou de possibilités d’activité physique. Les chaînes de restauration rapide omniprésentes servent des menus avec boisson à des prix qui peuvent sembler défier toute concurrence – vive le capitalisme ! En moins de deux minutes garanties, votre repas est mis sur votre plateau et vous n’avez plus qu’à vous asseoir ou à l’emporter. En moins de cinq minutes, il sera souvent avalé. En prime, il y aura une sensation de « reviens-y »… Les sucres auront eu un impact rapide sur une partie du cerveau et seront passés rapidement dans le sang. Toutefois, ces menus ne contenant généralement aucune fibre ou sucre lent, la – sensation de – faim reviendra quelques heures plus tard. Et même si la sensation de « reviens-y » ne fonctionnait pas, le manque d’options et d’informations ajouté à des publicités agressives et omniprésentes sans commune mesure avec ce que l’on peut connaître en Europe poussera toute une partie de la population à y retourner.

47% de la population latino et 48% de la population afro-américaine sont obèses.

Près de 40% des États-Uniens pris dans leur ensemble sont obèses.

Et pourtant, jusqu’à présent, aucune mesure sérieuse et de réelle envergure n’ont été prises au niveau fédéral pour lutter contre ce fléau. Michelle Obama a bien lancé dans les écoles un programme de prévention de l’obésité, mais sans grand succès. Il est vrai que celui-ci avait surtout pour but de la rendre populaire dans les chaumières et de s’assurer par-là que ses futures mémoires seraient un best-seller

Non, dans un pays où environ 20% de la population hispanique pense qu’être gros est un signe de bonne santé, le gouvernement fédéral ne bouge pas. Ou juste assez pour faire bonne figure.

Au tout début de sa campagne, Joe Biden avait promis de s’attaquer à « ce cancer de la nation qu’est l’obésité ». Aujourd’hui, s’apprêtant à prendre les rênes d’un pays décimé par le Covid-19, il n’en parle plus. Gageons qu’il ne fera guère plus en la matière que ses prédécesseurs.

Après tout, pourquoi allez contre les lobbies de la restauration rapide et autres vendeurs de shit food ? Laissons les obèses consommer et crever en paix puisque ça enrichit le système !

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » vient de paraître en Ebook chez Max Milo.
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