ANALYSES

Donald Trump a un bilan majeur en matière de politique étrangère et voilà pourquoi

Presse
24 octobre 2020
En quoi Donald Trump a-t-il, de son plein gré ou non, mis en lumière les échecs de la politique étrangère américaine ?

Il faut savoir, dans le cas de Donald Trump, dépasser l’image que renvoie le président américain, notamment en matière de politique étrangère. A plusieurs reprises, le locataire de la Maison Blanche a identifié des échecs de la politique étrangère américaine, fustigeant (très tôt) la guerre en Irak, critiquant le partage du fardeau au sein de l’OTAN ou déplorant une politique asiatique mal définie et aux bénéfices incertains, pour ne citer que quelques exemples. On peut également mentionner le refus du dialogue avec Pyongyang, qu’il a choisi de reprendre, jusqu’à rencontrer à trois reprises Kim Jong-un. Aucun président avant Trump n’avait osé franchir ce pas. Avec un ton qui le caractérise et un style souvent brutal, Trump a régulièrement dressé des diagnostics justes sur les difficultés de la politique étrangère américaine, confrontée à une perte d’influence et souvent déconnectée entre les intentions et les effets. Il a porté l’attention sur un leadership en crise, là où ses prédécesseurs ont entretenu le mythe d’un hégémon bienveillant. Cela ne signifie cependant pas qu’il a trouvé les bons remèdes.

Par le passé, les Etats-Unis ont-ils par exemple été trop naïfs avec la Chine ?

Oui et non. Oui parce que personne n’avait prédit à Washington une montée en puissance aussi rapide de la Chine – de nombreux experts américains refusent d’ailleurs encore de nos jours d’y croire, par méconnaissance de ce pays, et prophétisent soit un effondrement du régime chinois, soit une crise économique… Non parce que la Chine ne s’est pas hissée à son niveau de manière accidentelle, mais au terme d’un processus étalé sur des années. Depuis près de vingt ans, les analystes sérieux sur la Chine savent que ce pays rattrapera puis dépassera les Etats-Unis, ce n’est pas arrivé du jour au lendemain. Les dirigeants américains le savent très bien. Depuis la fin des années 1990, la question de l’émergence de la Chine est l’objet d’un nombre incalculable d’études dans les think tanks, et à été soulevée à de multiples reprises dans des débats politiques, notamment pendant les campagnes présidentielles. L’obsession chinoise de Washington ne date pas d’hier.
Oui parce qu’à force de se focaliser sur la nature du régime chinois, les dirigeants américains ont négligé la capacité du Parti communiste chinois à être le champion de l’économie de marché. Non parce que les Etats-Unis ont accompagné l’insertion de la Chine dans la mondialisation, notamment en poussant dans les années 1990 à l’entrée de Pékin dans l’OMC, concrétisée en 2001.

Quels présidences ont-été particulièrement problématiques ?

Toutes depuis la fin de la Guerre froide, chacune à sa manière. L’administration Clinton s’est montrée naïve sur la capacité à « dompter » la montée en puissance chinoise en la faisant entrer dans les institutions internationales. L’administration Bush s’est trop focalisée sur se projets au Moyen-Orient et a négligé sa politique asiatique. L’administration Obama a souhaité se repositionner dans la région, mais en se focalisant sur des mesures dirigées contre Pékin. On pourrait remonter plus loin, et faire notamment mention de l’administration Reagan qui s’est montrée naïve en soutenant les négociations entre Londres et Pekin sur la rétrocession de Hong Kong, bercée par l’illusion que la Chine se démocratiserait, ce que peu d’experts aux États-Unis (Andrew Nathan en faisait partie) jugeaient très improbable. Au delà des responsabilités des uns et des autres et d’une obsession chinoise qui est bipartisane, le principal problème côté américain vient d’une absence de vision dans cette politique chinoise. D’une administration à l’autre, les politiques engagées à l’égard de la Chine n’ont jamais gardé un cap, et chaque président s’est efforcé de remettre en question les mesures de son prédécesseur. Le meilleur exemple est le retrait du Partenariat trans-Pacifique (TPP), mesure clef de l’administration Obama, dès l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Et si Joe Biden remporte l’élection dans quelques jours, il ne tardera pas à remette en cause la politique chinoise de Trump, articulée autour des guerres commerciales. Sans régularité, une politique étrangère perd en capacité.

Dans The Rise and Fall of the Great Powers, paru en 1987, le professeur de Yale Paul Kennedy expliquait les États-Unis ne pouvaient pas soutenir indéfiniment une politique de suprématie mondiale alors que leur richesse relative continuait de baisser. Le défi pour l’Amérique, écrit-il, est de mettre en équilibre ses moyens et ses engagements. Qu’en pensez-vous ?

Le livre de Paul Kennedy fut publié dans un contexte très différent du nôtre, au temps de la Guerre froide. Il demeure cependant une grille de lecture incontournable dans le champs des études consacrées à la puissance, ses limites et ce qu’il convient de qualifier de pathologies. Kennedy fut l’un des premiers à poser la question du maintien des Etats-Unis à un niveau supérieur de puissance, aussi son texte s’est avéré très influent dans l’après Guerre froide, et il est encore pertinent. De fait, depuis la chute de l’Union soviétique et l’entrée dans l’unipolarité, Washington s’est interrogé sur les moyens permettant de maintenir le leadership. Experts proches des Républicains comme des Démocrates ont produit de nombreuses analyses sur le « nouveau siècle américain » et sur l’engagement de Washington dans le monde, avec des réponses variées, mais la même volonté de trouver cet équilibre. Des concepts tels que le soft power, l’empire bienveillant, le rêve américain (exhumé par Barack Obama notamment) et même Make America Great Again de Trump répondent à un seul et même objectif: trouver les clefs du maintien du leadership américain. Et c’est justement parce que la Chine est perçue, depuis plus de deux décennies, comme le principal compétiteur – d’abord potentiel, puis confirmé – et comme le plus grand obstacle au leadership américain, à tort ou à raison, que toutes les administrations américaines ont fait de la Chine une obsession, jusqu’à ce constat que nous relevons aujourd’hui et qui peut se résumer à une courte formule: il n’y a plus de politique étrangère américaine, il n’y a qu’une politique chinoise de Washington.
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