ANALYSES

Prébendes du coronavirus et Amérique latine : politiques vaccinales et vaccins politiques

Tribune
26 octobre 2020


La quasi-totalité des grands laboratoires pharmaceutiques du monde joue des coudes pour asseoir leur présence en Amérique latine. La course au vaccin anti covid-19 passe quelque part entre México, Buenos Aires, Lima et São Paulo. Cette compétition sanitaire pose en termes inattendus la relation structurellement asymétrique existant en ce domaine comme dans d’autres entre pays du sud et pays du nord.

Qui sont ces laboratoires en effet ? Des entreprises de santé originaires des grandes puissances économiques. Des États-Unis (Covaxx ; Johnson & Johnson, Merck), Novavax), de Chine, (CanSino, CNBG, Sinipharm ; Sinovac ), d’Allemagne, (Curevac, Pfizer), de Belgique, (Janssen),  de France, (Sanofi-Pasteur),  d’Italie (ReiThera), de Russie, (RDIF-Sputinik V), ; du Royaume-Uni. (Oxford/AstraZeneca),-. La philanthropie n’est pas le noyau dur de leur raison d’être. Elle accompagne la recherche prioritaire d’un profit, comme le font toutes les entreprises. Leur présence en Amérique latine, « continent » de familles à pouvoir d’achat relativement bas, si on le compare au revenu moyen nord-américain, japonais ou européen, à première vue, étonne.

Mais trois facteurs permettent de comprendre cet intérêt sanitaire et pécuniaire. Le premier est particulièrement attractif :  le marché potentiel est énorme. En raison de la brèche sociale, les systèmes de santé ont été rapidement saturés. Le périmètre des personnes infectées est en expansion soutenue. – L’Amérique latine est actuellement la région du monde qui compte le plus de malades, de personnes décédées, et de futurs patients en situation de péril grave et imminent. Faute de pouvoir répondre par des mesures de défense et de prévention suffisantes, d’infrastructures hospitalières à la hauteur du défi, les gouvernements des États et leurs ressortissants s’en remettent au vaccin, comme seule solution viable. Et donc se tournent vers ceux qui sont en capacité de les créer.

Les autorités régionales tapent à toutes les portes. Et négocient tous azimuts. Les chefs d’État ont saisi la tribune des Nations unies, fin septembre, pour signaler leurs inquiétudes et leurs attentes d’un accès universel au vaccin. Ils ont adhéré au dispositif Covax faciliy de l’OMS pour garantir, contre paiement, la mise à disposition d’arrivages minimaux. Le Mexique, par exemple, a effectué le 8 octobre 2020, un versement de 180 millions de dollars. Versement lui donnant droit à plus de 51 millions de doses. Ils sont allés à la rencontre des gros laboratoires du monde, cités supra. Qui pour la première des raisons évoquées, l’ampleur des besoins et leur urgence, ont répondu positivement à ces demandes.

Pays d’économies « intermédiaires », les Latino-américains offraient un autre avantage tout aussi décisif. Ils ont la capacité industrielle de produire sur place les vaccins inventés par les laboratoires internationaux. Argentine et Mexique ont annoncé le 12 août 2020 un accord de coopération conjoint avec la firme britannique AstraZinovac. Cet arrangement a bénéficié d’un soutien privé, celui du plus riche des Mexicains, Carlos Slim. Fiocruz au Brésil a également signé avec les Anglais d’AstraZeneca. L’Institut Butantan à São Paulo s’est associé au chinois Sinovac. Le vaccin a déjà un nom, le CoronaVac. TecPar, Institut du Parana au Brésil, a cherché un accord similaire avec le russe RDIF-Sputnik V.

Outre, la certitude d’avoir à répondre à une demande multimillionnaire, qui sera honorée financièrement, et fabriquée localement, ces laboratoires bénéficient d’une troisième contrepartie non négligeable. Celle de pouvoir disposer d’un volontariat abondant pour réaliser les essais dits de phase trois, passer des mises à l’épreuve sur l’animal à l’humain. Les gouvernements pour les raisons exposées supra ont accordé toutes les autorisations nécessaires. Les personnels soignants, en première ligne, et les opinions, qui se considèrent comme des victimes potentielles, ont massivement répondu à ces sollicitations. AstraZinovac effectue des essais en Argentine, au Brésil et au Mexique. CNBG en Argentine. Cansino et CureVac au Mexique. Janssen et Novavax au Mexique. Johnson et Johnson, Sinopharm au Pérou. Sinovac au Brésil, au Chili. Sanofi-Pasteur au Mexique, comme ReiThera. Sputnik-V au Brésil et au Mexique

La pandémie est mortifère. Elle tue physiquement. Mais elle est aussi l’origine de querelles politiques multiples. Le contexte de course vaccinale à l’échalote a généré d’autres compétitions et rivalités. Les gouvernements latino-américains s’inquiètent : les pays riches nous laisseront-ils notre part de vaccins ? Les États-Unis préoccupés par la pénétration de laboratoires russes et chinois tentent d’y mettre le holà. Au Brésil, gouvernement central et États se disputent vaccins et laboratoires. Le président Jair Bolsonaro, après avoir reçu un envoyé de Donald Trump, le Conseiller de sécurité nationale, Robert O’Brian, a démis son troisième ministre de la santé, le général Eduardo Pazuello. Il venait d’annoncer un gros achat de vaccin CoronaVac, 46 millions de doses. Ce vaccin avait un double défaut : il est d’origine chinoise, et il est promu par l’un des adversaires politiques de J. Bolsonaro, le gouverneur de São Paulo, João Doria.

L’OPS, Organisation panaméricaine de la Santé, a opportunément tenté de siffler une mi-temps de réflexions. Et avertie les uns et les autres le 23 octobre en ces termes, « l’Amérique latine ne doit pas s’en remettre exclusivement au vaccin pour en finir avec la covid-19 ».
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