09.12.2024
Biélorussie : « La Russie s’agace depuis longtemps du jeu de balancier de Loukachenko »
Presse
18 août 2020
L’UE a d’ores et déjà annoncé qu’elle élaborait des sanctions individuelles contre les personnes impliquées dans les fraudes et les violences post-électorales. Comme en Ukraine en 2014, la Pologne et la Lituanie sont en pointe, ce qui ne peut qu’éveiller certains soupçons de visées géopolitiques à Moscou. Ces mesures peuvent-elles changer la donne ? Ce n’est pas certain. Je rappelle que les Etats-Unis ont, à partir de 2008, soumis le Bélarus à des sanctions sans que cela change les choses. La voie est donc étroite entre le refus du fait accompli et la solidarité avec les manifestants – réitérée lundi par le président Macron -, entre l’influence et l’ingérence. Il serait en tout cas souhaitable que les Etats-Unis et l’OTAN restent discrets et que toutes les parties évitent de répéter les erreurs ayant conduit à la tragédie ukrainienne.
Poutine a annoncé qu’il soutenait Loukachenko. Que peut-il faire réellement ?
Le président russe a félicité Loukachenko pour sa victoire, mais après son homologue chinois ; il s’est aussi entretenu à deux reprises avec son interlocuteur biélorusse ces derniers jours. En réalité, le soutien du Kremlin est prudent. Il a réaffirmé que les mécanismes de sécurité dans le cadre du Traité de sécurité collective seraient activés en cas de menaces externes. Interpréter cela comme le signe que Moscou est prête à intervenir militairement pour sauver le régime à Minsk est un contresens. Le fait est que les relations entre Poutine et Loukachenko ne sont pas bonnes et que la Russie s’agace depuis longtemps du jeu de balancier entre l’Est et l’Ouest de Loukachenko. Le Kremlin est d’autant moins enclin à intervenir militairement qu’il voit que les manifestations actuelles ne sont pas anti-russes. Au fond, un scénario similaire à ce qu’il s’était passé en Arménie en 2018 pourrait la satisfaire. Ce qui compte pour le Kremlin, c’est que l’alliance politico-militaire et l’intégration économique entre les deux pays soient maintenues.
Rappelons qu’elle a remplacé au pied levé son mari, incarcéré par le régime de Loukachenko. Cette ancienne prof d’anglais n’avait jamais imaginé être candidate, encore moins gouverner le pays. Il n’est d’ailleurs pas sûr qu’elle se représente en cas de nouveau scrutin. Ceci étant, elle incarne aujourd’hui le mouvement populaire d’opposition et est donc, de fait, incontournable. Fait-elle l’unanimité ? Les premiers noms qu’elle a mis en avant pour son comité de transition semblent décevoir certaines composantes de l’opposition, qui est diverse et qui pourrait se diviser dans les jours qui viennent. C’est d’ailleurs sans doute l’un des paris du régime.
Dans quelle position se trouve Loukachenko, actuellement ? Est-il indéboulonnable ?
Il se trouve dans une situation qui peut sembler désespérée, mais – et c’est assez étonnant – il est toujours là et paraît déterminé à ne pas céder. Ses tentatives de contre-manifestation dimanche ont échoué piteusement (il y avait tout au plus 5 000 personnes, acheminées par bus, dans le centre de Minsk). Le soutien réel dont il dispose dans le pays est difficile à évaluer, mais il est probablement de l’ordre de 20%. Mais, à ce stade en tout cas, on n’enregistre pas de faille ni de défection majeure dans l’appareil sécuritaire. L’un des facteurs-clés pour la suite est la grève générale à laquelle appelle l’opposition : sera-t-elle massivement suivie et bloquera-t-elle le pays ? On ne peut exclure un scénario d’enlisement, qui verrait le régime, certes coupé de la société, tenir. Il ne pourrait pas vraiment gouverner, et on peut craindre qu’une partie des manifestants – à ce stade parfaitement pacifiques – se radicalise. Les jours qui viennent seront décisifs.