ANALYSES

Le Moyen-Orient et le Maghreb face à la crise de Covid-19 : où en est-on ?

Interview
15 juin 2020
Le point de vue de Didier Billion


Si le nombre de cas de contamination et de décès dus au Covid-19 au Moyen-Orient et au Maghreb semble faible, où en est la situation sociale et sécuritaire dans cette région. Le point avec Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Qu’en est-il de la situation sociale et sanitaire au Moyen-Orient et au Maghreb face à la crise liée au Covid-19 ?

Nous constatons une situation apparemment paradoxale. Au vu des médiocres infrastructures médicales et sanitaires publiques et de la forte proportion de populations paupérisées, donc souvent de santé fragile, on pouvait effectivement craindre, au début de la pandémie, que le Covid-19 induise des pertes humaines conséquentes. À ce jour, ce n’est pas ce qui s’est produit. Les chiffres transmis par les autorités des États du Moyen-Orient, que l’on doit donc considérer avec les plus grandes précautions, sont très faibles tant en nombre de personnes contaminées qu’en nombre de décès. Certes, des États comme l’Iran ou la Turquie ont été brutalement atteints, mais les chiffres sont sans commune mesure avec ceux que connaissent les pays européens ou latino-américains.

Les mesures de confinement ont été prises très tôt et la nature autoritaire des régimes de la région en a, sans nul doute, permis une application stricte. Ainsi, de fortes amendes, voire des peines d’emprisonnement, sanctionnaient les citoyens qui ne se conformaient pas au confinement ou aux couvre-feux mis en place dans quelques pays.

Mais le facteur principal qui permet de comprendre pourquoi les effets de la pandémie ont été moindres que dans d’autres parties du monde, réside très certainement dans la structure démographique des pays concernés. Partout, les populations sont en effet jeunes. Pour mémoire, l’âge médian dans la région Moyen-Orient/Afrique du Nord est d’environ 22 ans, alors qu’il est de 28 ans au niveau mondial. Nous sommes donc dans une situation comparable à celle qui semble prévaloir en Afrique et qui expliquerait le nombre peu important de contamination et de décès.

Pour autant, nous insistons, les chiffres auxquels nous avons accès laissent dubitatifs. C’est particulièrement flagrant dans les pays qui sont le théâtre de conflits, comme la Libye ou le Yémen, dont nous savons l’état sanitaire catastrophique.

Peut-on envisager que les mouvements de contestation qui avaient lieu avant la pandémie de Covid-19 ressurgissent lors de la sortie de crise ?

Nous nous souvenons en effet que l’année 2019 a été marquée par une vague de contestation qui a traversé plusieurs pays de la région – Soudan, Algérie, Irak, Liban, Égypte dans une moindre mesure -­ ébranlant certains d’entre eux en contraignant leurs dirigeants à démissionner.[1] Ces mouvements ont tous été stoppés en raison des mesures de confinement.

Pour autant, aucune des causes à la racine de ces puissantes protestations n’a été résolue. C’est pourquoi, sous des formes et à des moments que nul ne peut prédire, d’autres mobilisations se produiront. Ceux qui avaient décrit des « hivers » succédant à ce qu’ils appelaient les « printemps arabes » se sont lourdement trompés. Outre le fait que les métaphores saisonnières rendent difficilement compte des processus politiques, c’était surtout ne pas comprendre les dynamiques à l’œuvre et le fait que la séquence politique ouverte il y a presque une décennie dans la région n’est nullement refermée.

Qui ne comprend que les revendications, formulées en 2010-2011, de justice sociale, de démocratie et de dignité sont toujours d’une actualité brûlante et qu’elles n’ont en réalité nulle part été satisfaites, même si des avancées sont par exemple à l’œuvre en Tunisie et au Soudan. Qui ne comprend que les effets induits par la pandémie vont porter à incandescence le marasme économique et par conséquent les contradictions sociales.

D’ores et déjà, nous pouvons constater une reprise des manifestations dans un Liban qui se trouve dans une situation économique de quasi-banqueroute, dont le taux de pauvreté affleure désormais 50 % de la population et dont, surtout, les responsables politiques s’avèrent totalement incapables d’affronter et de résoudre les défis.

En Syrie, des manifestations ont été organisées dans la ville de Suweïda dans le Sud du pays, au cours desquelles les mots d’ordre étaient clairement dirigés contre la dégradation de la situation économique et contre le régime.

Où en sont les conflits militaires de la région ?

Durant la période de confinement, peu d’informations furent consacrées à ces conflits qui pour autant n’ont pas cessé. Selon les cas, les situations sont évidemment très différentes.

En Syrie, nous avons pu constater une accalmie des combats pendant laquelle les protagonistes s’observaient et tentaient de renforcer leurs positions respectives. Outre les aspects strictement militaires, le plus important se concentre sur les manœuvres de palais au cœur du pouvoir, indiquant des tensions extrêmement vives dans l’entourage immédiat de Bachar Al-Assad. La saisie des biens de Rami Makhlouf, cousin du président syrien, l’homme le plus riche de Syrie et principal pilier financier du système, indique que chacune des factions se prépare désormais pour l’après-guerre.

Au Yémen, les dirigeants saoudiens ont proposé un cessez-le-feu, exprimant ainsi leur souhait de se dégager d’un conflit dans lequel ils se sont eux-mêmes engagés, il y a maintenant plus de cinq ans. Les houthistes ont profité de cette situation pour renforcer et élargir le périmètre des régions sous leur contrôle. Au même moment, les « sudistes » ont proclamé leur « autonomie » par l’intermédiaire du Conseil de transition du Sud, soutenu par les Émirats arabes unis, qui marquent ainsi leur désaccord avec l’Arabie saoudite.

Enfin, c’est en Libye que la modification des rapports de force est la plus sensible au profit du Gouvernement d’accord national de Faïez Sarraj, officiellement reconnu par l’ONU. C’est indéniablement l’intervention militaire de la Turquie en soutien de ce dernier qui a permis un tel retournement de situation et entraîne une série de défaites et de reculs des troupes du maréchal Haftar, au grand dam de ses soutiens, notamment émirati, égyptien et russe.

On ne peut enfin passer sous silence la multiplication des attaques du mal nommé État islamique (Daech), en Irak et en Syrie, qui prouve que cette organisation n’est pas éradiquée.

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[1] Voir à ce propos la note réalisée pour le compte de l’Agence française de développement par Didier Billion et Christophe Ventura, Mouvements de contestation dans le monde : causes, dynamiques et limites, Note d’analyse, IRIS, avril 2020.
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