ANALYSES

Le plan secret de la Chine pour tenter de restaurer son image (et gagner la bataille de la propagande)

Presse
30 mai 2020
A quel point la pandémie de CoVid19 a-t-elle abimé l’image de la Chine à l’international ?

La pandémie et sa gestion en tant que tel n’ont pas eu un impact fondamentalement négatif pour la Chine, en comparaison avec les Etats-Unis par exemple. Le fait que l’épidémie soit partie de Chine a été martelé par l’entourage du président américain, mais en dehors de cercles traditionnellement hostiles à Pékin et adeptes du China bashing, cela n’a pas eu une résonnance très forte. Après tout, il faut bien que l’épidémie parte de quelque part, et la Chine ne saurait être blâmée comme étant « à l’origine de ce virus ». En revanche, c’est l’attitude de la Chine qui peut potentiellement avoir un impact négatif sur son image. D’abord en ce qui concerne les soupçons d’informations cachées ou falsifiées, notamment sur le nombre de cas ou sur la rapidité apportée dans la réponse. Les critiques n’ont pas tardé à mettre en relief le nombre étonnement faible de victimes – une tendance que l’on retrouve cependant dans de très nombreux pays, et qui ne semble donc pas être l’apanage de Pékin – et les retards dans les mesures sanitaires – un problème que la Chine n’est pas la seule, là encore, à avoir rencontré. Sur ces deux points, c’est surtout dans le monde occidental que les critiques sont les plus vives, au point que le fantasme d’une nouvelle guerre froide est ressortie des oubliettes, au risque de réveiller un binarisme intellectuel qui n’a jamais rien apporté de bon. Mais dans le reste du monde, la Chine n’est pas critiquée pour ses mensonges sur la crise du Covid-19, elle est au contraire souvent regardée avec envie compte-tenu de la capacité de ce pays à être sorti de la crise sanitaire. A l’heure où les sociétés en développement sont en train de devenir l’épicentre de la pandémie, la Chine est vue comme un exemple à suivre plus que comme un compétiteur à critiquer. L’Occident ne doit pas oublier qu’il est, sur ces questions, très isolé, et en rien représentatif des tendances à échelle internationale.

On reproche ensuite à la Chine de chercher à profiter de la crise, et en particulier des difficultés auxquelles sont confrontés ses compétiteurs. Contrairement à la précédente, cette critique me semble aussi fondée qu’elle ne relève d’une évidence. Il est naturel pour les puissances de chercher des opportunités, même au cœur de la crise. Ce ne sont pas les Etats-Unis, sortis grands vainqueurs de deux guerres mondiales qu’ils ont combattues tardivement, qui prouveront le contraire. La Chine étant une grande puissance comme les autres, avec ses qualités et ses défauts, il est assez logique qu’elle cherche à tirer profit de la crise, en particulier dès lors que cette dernière s’est exportée vers ses compétiteurs. Pékin doit cependant se méfier de ne pas offrir le spectacle d’un pays qui se réjouirait des déboires des autres pour mieux avancer ses pions. Les récentes patrouilles militaires en mer de Chine méridionale illustrent ainsi ce désir de ne pas perdre de temps pour affirmer une souveraineté que ses voisins lui disputent, tout en profitant de la vacance d’un leadership américain, totalement incapable de réagir. Cela pourrait avoir un impact négatif sur l’image de la Chine en Asie du Sud-est, région essentielle pour Pékin et dans laquelle elle est déjà confrontée à un déficit d’image, précisément justifié par son appétit et ses penchants hégémoniques. Dans le bras de fer qui l’oppose à Taiwan, la Chine se montre également plus rigide et bornée que jamais, traduisant un autisme aussi coupable que contreproductif dans la relation inter-détroit, au moment où Taiwan retrouve de belles couleurs grâce à sa gestion remarquable – et sans la moindre ambiguïté – de la crise sanitaire (sept morts). On aurait préféré que la Chine profite de la crise pour se rapprocher de Taipei, accepter son adhésion à l’OMS et enfin admettre implicitement que la réunification est une fable qui ne se réalisera jamais. Au lieu de cela, les dirigeants chinois offrent le spectacle d’un entêtement et d’un impérialisme qui est plus que jamais la principale épine dans le pied de l’image de la Chine. On ajouterait volontiers ici la gestion de Hong Kong, pour le moins hasardeuse et inappropriée, mais Pékin répondra qu’il s’agit d’une question de politique intérieure et que la non-ingérence s’impose…

La Chine est aussi critiquée pour l’influence trop grande qu’elle exerce sur les organisations internationales, l’OMS en particulier ici. Les relations entre l’agence de l’ONU et Pékin sont effectivement trop troubles pour qu’elles ne suscitent pas des critiques, et c’est l’image d’une Chine souhaitant mettre la main sur le système-monde et les instances qui le gouvernent qui est renvoyée. C’est un mauvais calcul de la part de Pékin que de s’entêter sur ce point.
Enfin, la Chine se montre trop impatiente et refuse toutes les critiques qui la ciblent. C’est ce que l’on a notamment observé au ministère des Affaires étrangères, ou encore dans les ambassades, les diplomates rompant avec un discours convenu pour se montrer très, et souvent trop, offensifs. Ce fut le cas en France, mais également dans certains pays africains, invités à accepter les aides logistiques – précieuses et appréciées – de la Chine sans émettre la moindre remarque. Ces « loups combattants », comme on les appelle désormais en référence au film à grand succès Wolf Warrior 2 (plus que le 1) offrent une image de la Chine qui n’est pas à son avantage, tout autant que cette tendance à répondre du tac-au-tac aux provocations de l’administration Trump, et donc à se mettre au niveau d’un pouvoir à la dérive, n’est pas un bon calcul.

Quelle est la stratégie de Pékin pour rattraper son image ?

Il faut d’abord rappeler que l’image est très importante pour la Chine, qui a identifié depuis deux décennies les bienfaits d’une stratégie de soft power et qui estime que sa civilisation plurimillénaire est son principal atout. C’est ce que préconise l’école de Shanghai, école de pensée actuellement la plus influente sur les orientations du soft power chinois, et qui mise sur la culture et l’histoire de ce pays. Cette offensive de charme de la Chine va se poursuivre après la crise du Covid-19, et elle n’est pas en soi critiquable. Mais Pékin a progressivement introduit une autre stratégie, basée sur ses capacités financières et sa puissance économique et commerciale. C’était déjà très présent dans les années 2000, mais cette stratégie a été officialisée avec les « nouvelles routes de la soie », le projet que Xi Jinping porte depuis 2013 et qui se traduit par des investissements pharaoniques, des acquisitions, des modernisations et parfois des néo-vassalités, dans toutes les régions du monde. Ces investissements donnent une image positive de la Chine, en ce qu’ils sont souvent accueillis favorablement pas les récipiendaires, lesquels ne parviennent plus à obtenir les faveurs du FMI ou de la Banque Mondiale.

Joseph Nye, le concepteur du soft power, n’avait pas inclus l’économie dans les attributs du soft power, et la Chine a donc réinventé le concept en capitalisant sur ses deux points forts: sa culture et ses moyens financiers. Mais si cette stratégie a permis à la Chine d’accélérer sa montée en puissance et de se rendre indispensable dans les sociétés en développement, elle se heurte dans le même temps au risque des mesures de rétorsion économiques face à ceux qui n’accepteraient pas les faveurs de Pékin. Bref, du hard power.

Quels sont les effets de cette propagande ? Est-elle plus efficace dans certaines zones du monde que dans d’autres ?

Le décalage est abyssal, et il faut s’en inquiéter. On le voit avec la crise du Covid-19, sorte de révélateur et d’amplificateur des équilibres – et déséquilibres du monde. Les pays occidentaux sont plus que jamais inquiets des moyens dont dispose la Chine, et en font un compétiteur (pour Bruxelles), voire un rival (pour Washington). Certes, les divisions sont assez fortes en Europe, certains Etats nourrissant une sinophobie proche de celle des Etats-Unis tandis que d’autres ayant depuis longtemps succombé aux avances de Pékin concrétisées par des investissements massifs. Difficile par exemple de demander aux Grecs de critiquer la Chine, quand cette dernière l’a sortie de la banqueroute, sous les yeux aussi inquisiteurs qu’impuissants des puissances occidentales. Les Européens ne sont pas unis dans leur politique chinoise – comme à peu près tous les sujets de politique étrangère. Mais à quelques exceptions près, les pays occidentaux se retrouvent pour former une alliance, de circonstance, des démocraties face à la Chine, dont le régime est ici pointé du doigt et critiqué. En clair, la nature du régime chinois est le principal handicap de Pékin dans sa stratégie de séduction en direction de l’Occident. Et ce ne sont pas les appels à une nouvelle guerre froide qui vont arranger les choses…

D’un autre côté, et comme pour rappeler justement que l’appellation de guerre froide est totalement inadaptée, les sociétés en développement portent un regard sur la Chine très pragmatique, et dans lequel la dimension idéologique a disparu depuis des années. Rappelons que dans de nombreuses régions du monde, l’image de l’Occident n’est pas bonne, et que la Chine y est souvent vue plus favorablement. Pas de passif historique lourd à porter, peu ou pas – encore, parce que ça viendra très vite – de combines et trafics impliquant les élites locales: la Chine est un partenaire pour ce vaste monde qui entoure l’Occident, et si son appétit pose parfois problème, il n’est pas fondamentalement différent de celui des autres grandes puissances, qui n’ont pas attendu le XXIème siècle pour se servir dans la caisse. Il y a un écart des perceptions, trop souvent ignoré dans des démocraties occidentales aveuglées par une arrogance coupable, et cet écart offre un boulevard à la Chine. Ne soyons cependant pas fataliste, car les grandes puissances souffrent toutes des mêmes pathologies de la puissance, dont l’arrogance est le mode d’expression et l’hubris le fondement. La Chine ne fait pas exception.
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