ANALYSES

Manifestations chiliennes : un nouveau pays latino-américain en crise ?

Interview
22 octobre 2019
Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky


Après l’Équateur, c’est maintenant le Chili qui est touché par des manifestations de grande ampleur, suivies par des répressions gouvernementales très violentes qui ont déjà fait plusieurs morts. Le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.

Quelles sont les grandes revendications qui motivent les manifestations chiliennes ? Pouvait-on s’attendre à une telle explosion de colère sociale ?

Personne ne pouvait prévoir ce qui s’est passé la semaine dernière et aujourd’hui à Santiago et dans d’autres villes du pays. Il y a eu un élément déclencheur : l’augmentation du prix du ticket de métro, qui est passé de 800 à 830 pesos. Cela peut paraître dérisoire, mais c’est cet élément qui a fait exploser une situation qui avait déjà accumulé beaucoup de déficits sociaux pour les classes moyennes et les classes modestes du Chili depuis plusieurs années. On a oublié que le défi qui était posé à la société chilienne à la fin de la dictature n’était pas seulement de retrouver les voies d’une société démocratique, mais aussi de retrouver un service public de qualité et une démocratie sociale.

Jusqu’à aujourd’hui, aucun gouvernement chilien n’a réussi à redonner le sens de la citoyenneté aux Chiliens, qui sont, de l’époque de Pinochet à aujourd’hui, toujours considérés comme des consommateurs. Les transports, la santé et l’éducation sont privés. Certes, il y a des bourses et des aides, mais elles ne compensent pas le déficit accumulé depuis la dictature.

Il y a donc eu un phénomène de ras-le-bol, similaire à celui que l’on a constaté en Équateur il y a quelques semaines, ou même du phénomène des Gilets jaunes en France. Il n’y a pas vraiment d’organisateurs, contrairement à ce que disent les autorités chiliennes, qui évoquent « un ennemi puissant et organisé », c’est un phénomène de contestation spontané pour rejeter le fait que tout est trop coûteux pour un Chilien de condition modeste. Les étudiants sont endettés pour vingt ans à la fin de leurs études afin de rembourser la dette contractée auprès de leur université, le coût des transports représente 30 % des revenus mensuels pour certains foyers chiliens, 1 % des Chiliens possèdent 25 % du PIB… C’est dans ce contexte bouillonnant que les évènements liés à l’augmentation du prix du billet de métro ont eu lieu.

Après des manifestations et répressions violentes, le président a expliqué être « en guerre contre un ennemi puissant ». Qu’est-ce qui explique une telle polarisation du discours et de la vie politique du Chili ?

À la manière des Gilets jaunes en France, les partis politiques chiliens ont été totalement en dehors de cette dynamique contestataire. D’un point de vue démocratique, ce qui peut être contesté, c’est le commentaire fait par le président du Chili, qui a désigné les manifestants comme des « ennemis extérieurs ». Il parle d’un état de guerre et a mobilisé les forces armées : entre huit et neuf mille militaires quadrillent actuellement les rues de Santiago et Valparaiso est en état de siège. Cela ne s’était pas vu depuis la dictature militaire.

On a l’impression que le président a été totalement dépassé par ces évènements et a eu recours aux forces armées : pour la première fois, on a vu un général répondre à des questions sur des problèmes sociaux et d’ordre public qui ne revenaient plus aux militaires depuis la dictature de Pinochet.

Ces évènements tombent très mal pour les autorités chiliennes et pour le président Piñera qui, compte tenu du caractère considéré jusqu’alors comme exemplaire par les grandes autorités financières et économiques mondiales du pays, doivent accueillir la réunion annuelle de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique) en novembre. La réunion de la COP sur le réchauffement climatique doit aussi se tenir au Chili en décembre. Il sera difficile pour le président chilien dans ces conditions de tenir le rôle de président et de pays exemplaire dans une Amérique du Sud en grande difficulté…

Manifestations violentes en Équateur et au Chili, crise au Venezuela, élections sur fond de revendications sociales en Argentine, en Bolivie et en Uruguay… Y a-t-il des facteurs communs au sous-continent latino-américain qui motivent les contestations et revendications sociales ? Cela annonce-t-il une nouvelle ère pour la région ?

C’est un phénomène latino-américain, mais aussi international comme les Gilets jaunes l’ont montré. Le constat que l’on peut faire c’est que dans les périodes de crises économiques et sociales, sur un fond d’inégalités qui sont plus grandes en Amérique Latine qu’en Europe, apparaissent des manifestations très fortes et parfois violentes, comme en Équateur et au Chili. Cela peut s’exprimer autrement : par des phénomènes migratoires, comme au Venezuela où 20 % de la population est en exil, et en Amérique centrale où l’on observe des caravanes d’exilés, ou par des recours politiques comme en Argentine et en Uruguay. On a donc des phénomènes sociaux dus à l’impact de la crise qui se fait sentir dans tous les pays. Les réponses des populations sont différentes selon les contextes nationaux.
Sur la même thématique