ANALYSES

Election présidentielle américaine : «Trump a un temps d’avance»

Presse
18 juin 2019
La future élection présidentielle américaine n’aura lieu le 3 novembre 2020 mais Donald Trump est déjà en campagne. Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et auteure du livre « Trump, la revanche de l’homme blanc » (éd. Textuel, 2018) décrypte.

Pourquoi Donald Trump repart-il si tôt en campagne pour l’élection présidentielle de 2020, contrairement à ses prédécesseurs ?

MARIE-CÉCILE NAVES. D’abord Donald Trump fait peu de choses comme ses prédécesseurs ! Et surtout c’est quelqu’un qui est « toujours-déjà » en campagne depuis qu’il a été élu, en novembre 2016. Il s’était fortement impliqué à titre personnel dans la campagne des midterms, comme aucun président ne l’avait fait à ce point avant lui. Cela ne change donc pas grand-chose, à part pour la mise en place des comités de soutien et pour la levée de fonds qui va devenir plus officielle. Il est possible aussi qu’il veuille couper l’herbe sous le pied des Démocrates, qui vont avoir prochainement les premiers débats de leurs candidats à l’investiture.

Est-ce qu’il ne prend pas un risque en s’exposant ainsi aux aléas économiques et internationaux qui peuvent surgir d’ici là ?

Oui bien sûr, mais on le voit mal renoncer à concourir, même en cas de gros aléas… qu’il provoque d’ailleurs souvent lui-même. Ce qui l’intéresse c’est l’affrontement avec ses adversaires. Le processus de campagne lui convient, plus que le débat de fond qu’il essaye d’écarter pour imposer ses propres sujets : « les médias qui trahissent le peuple », les Démocrates qui ne pensent qu’à le faire destituer « alors que les tricheurs ce sont eux », l’immigration, l’action identitaire… Son entrée précoce en campagne est aussi une façon d’imposer son agenda et ses thèmes. Certes il prend un risque alors que l’économie pourrait ralentir et que de nombreux foyers de tensions internationaux existent, mais Trump prospère justement sur le chaos qu’il a lui-même créé. Aussi bien sur l’international – cela lui permet d’apparaître comme un homme fort qui n’a pas peur de l’affrontement – que sur le plan interne où il a non seulement surfé sur les divisions nationales mais il les a largement amplifiées.

La popularité de Trump n’est pas très bonne – légèrement en dessous de 50 % – et les premiers sondages le donnent même battu par plusieurs candidats démocrates. Quel crédit faut-il accorder à cela ?

On est encore loin de l’élection et surtout tant qu’on ne sait pas qui sera l’adversaire de Trump, il est difficile d’établir un rapport de force. Ce n’est pas du tout pareil s’il est face à Joe Biden, qu’il semble craindre parce qu’il mord sur un électorat plus masculin et populaire, que s’il a face à lui Kamala Harris. Le taux de popularité de Trump est globalement stable, proche de 50 %. Ce taux serait bon pour un président français mais c’est un taux très faible pour un président américain. Mais Trump ne cherche pas prioritairement à élargir son électorat potentiel : il va plutôt vouloir mobiliser très fortement les gens qui lui sont fidèles. Il a pris une grosse gifle aux élections de mi-mandat parce que les électeurs démocrates, dont beaucoup s’étaient abstenus en 2016, sont allés voter. Pour refaire le même coup qu’en 2016, Trump doit consolider le cœur de son électorat, en particulier dans les Etats clés – les fameux swing states – où il se rend tout le temps. Dans le système américain, il n’est pas nécessaire d’avoir la majorité des voix pour gagner, Trump l’a déjà montré. Son taux de popularité est certes un indicateur mais on ne peut pas préjuger de ce qu’il se passera en novembre 2020.

Les Démocrates peinent à faire émerger un challenger de poids contre lui…

Pour l’instant, on ne voit pas de personnalité qui s’impose dans le camp démocrate. Mais il y a peut-être des choses que perçoivent les Américains et que nous ne voyons pas avec notre regard français. Les premiers débats entre candidats à l’investiture du camp démocrate vont être cruciaux car ils vont démarrer un processus de décantation. Certains qui sont déjà à la traîne vont abandonner et se reporter sur un autre et ceux qui restent en piste auront ainsi plus de visibilité. Un Beto O’Rourke qui semblait prometteur durant la campagne au Texas semble aujourd’hui moins flamboyant mais il va peut-être émerger à nouveau lors des débats. La question est de savoir si le parti démocrate va clarifier sa ligne une fois que les candidats les plus « évidents » se seront détachés ou est-ce que les candidats vont s’affirmer une fois que le parti aura clarifié sa ligne. C’est la difficulté du parti démocrate et cela renforce Trump car lui a une ligne claire : il est seul dans son camp, donc il a un temps d’avance.

 

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Propos recueillis par Philippe Martinat
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