ANALYSES

Trump se voit en « père de la nation » grâce à cette petite révolution

Presse
6 février 2019
Placé sous le signe de l’unité, le discours de l’Union n’a pas été rassembleur uniquement par les mots incantatoires que le président Trump a prononcés: car ce dernier a aussi proposé un certain nombre de mesures très pragmatiques, dans une intention affichée de « regarder vers l’avenir », mais aussi de séduire l’électorat des démocrates et indépendants. Si tout le monde a bien retenu sa volonté de lutter contre le VIH, ou le cancer des enfants, ou de permettre un accès aux soins plus ouvert et bienveillant, notamment pour les patients qui souffrent d’une maladie chronique, il a été beaucoup moins remarqué au milieu de tout cela ce qui constitue pourtant une vraie révolution aux Etats-Unis: « Je suis fier d’être le premier président à prévoir dans mon budget un plan de congés familiaux payés dans tout le pays », a déclaré Donald Trump. Ainsi, le président a appelé de ses vœux la création d’un congé maternité –et paternité– qui serait intégralement payé et pris en charge par le gouvernement fédéral. Il a défendu cette option en assurant qu’elle donnerait à chaque nouveau parent une « chance de nouer des liens avec son nouveau-né ». Cette proposition, qu’il avait déjà évoquée pendant sa campagne électorale a été inspirée et poussée par sa fille, Ivanka, qui avait assuré pendant son discours prononcé à la convention républicaine de juillet 2016 que ce projet deviendrait une réalité.

Si on pense communément qu’il n’y a aucun congé pour les nouveaux parents dans ce pays, la réalité est un peu plus subtile: la loi sur le congé familial et médical (FMLA), adoptée en 1993, donne aux parents la possibilité de prendre quelques jours, pour accompagner l’arrivée d’un nouveau-né. C’était une des mesures phares du programme de Bill Clinton en 1992. La durée maximum du congé autorisé est de douze semaines et les employés sont assurés de retrouver leur poste à l’issue de ce congé. Toutefois, et c’est là que le bât blesse, les employés doivent le faire sans toucher le moindre sou, car leur salaire est alors suspendu et il n’existe aucune prestation fédérale de compensation. Cela donne aux Etats-Unis le triste record d’être le seul pays développé au monde à ne pas avoir de congé familial payé. Tout cela pourrait donc ne plus être qu’un mauvais souvenir si la proposition de Donald Trump est suivie d’effet.

Le président a suggéré pendant sa campagne que ce congé familial dure six semaines. Les plus sceptiques relèveront qu’il avait déjà évoqué cette idée l’année dernière, dans son premier discours de l’Union, mais que rien n’est sorti des cartons depuis cette date. Ce qui change, pourtant, c’est que la Chambre des représentants a changé de majorité et que les démocrates pourraient peser de tout leur poids pour faire accepter cette révolution à leurs collègues républicains qui voient surtout là une dépense très onéreuse.

Certains États ont déjà des lois imposant des congés familiaux, qui ont été adoptées sous l’impulsion des gouverneurs Jerry Brown en Californie en 2002 et Jay Inslee dans l’Etat de Washington en 2017. On trouve des formes de congés similaires dans le New Jersey depuis 2008, le Rhode Island depuis 2013 et New York depuis 2016. On peut aussi relever que de plus en plus d’employeurs, à travers tout le pays, ont mis en place des mesures protectrices pour leurs employées, et parfois pour les pères également, dont Walmart, la multinationale géante dans la distribution, qui a profité des baisses d’impôts de décembre 2017 et qui a choisi d’étendre sa politique en faveur de la famille pour associer ses employés à l’aubaine dont elle profitait. Au cours des deux dernières années cette pratique a d’ailleurs séduit de plus en plus d’employeurs car elle renforce fortement l’attractivité de l’entreprise auprès de collaborateurs potentiels et améliore l’ambiance au travail. Alors, les entreprises ont renforcé les politiques de congés parentaux rémunérés afin d’attirer et de retenir les travailleurs. Entre 2016 et 2018, le pourcentage d’entreprises proposant des congés payés est passé de 26% à 35%, selon la Society for Human Resource Management. Par ailleurs, elles sont 29% à proposer un congé paternité payé. L’année dernière, d’importants employeurs tels que Dollar General, la Banque TD et Unum ont ajouté un congé parental à leurs avantages sociaux, tandis que IBM et la TIAA ont imité Walmart et étendu leurs programmes existants.

Johnny C. Taylor, le président de la Society for Human Resource Management a tweeté immédiatement après le discours de Trump que « les congés payés restent l’un des problèmes majeurs en milieu de travail aux Etats-Unis ». L’attente est grande dans ce domaine, mais les inconnues le sont tout autant, car on ne sait comment le président envisage de financer cette nouvelle dépense. Or, sans une réponse précise à cette question, il ne pourra pas compter sur le soutien de sa majorité républicaine. Le sénateur républicain de Louisiane Bill Cassidy a également écrit un tweet après l’annonce de Trump, affirmant qu’il était déjà au travail pour élaborer un projet qui tienne la route. Il faudra cependant une forte volonté bipartite pour que ce projet émerge et prenne corps avant l’élection 2020.

Le vrai espoir est que les deux camps peuvent tirer un parti électoral de la mise en place d’un tel programme. Les démocrates démontreraient à leurs électeurs qu’ils sont utiles au pouvoir et Donald Trump se poserait en « père de la nation », qui a révolutionné les esprits et les modèles. À suivre, donc.
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