ANALYSES

La présidentielle en Colombie brise les codes politiques traditionnels du pays

Presse
16 juin 2018
Le 17 juin les électeurs colombiens vont départager les deux finalistes de la présidentielle. En piste, à droite Ivan Duque, du Centre Démocratique, dont l’atout principal est le soutien sans faille que lui apporte l’ancien président Alvaro Uribe. A gauche Gustavo Petro, sous les couleurs de Colombie humaine, ancien maire de Bogota, guérillero membre du groupe guérillero M-19 dans sa jeunesse. Tous deux pour la première fois en Colombie cristallisent des options reflétant des engagements antagonistes.

Le choix est inédit, pour les Colombiens.

Les élections traditionnellement sont l’affaire des partis traditionnels, libéral et conservateur. Au pire ou au mieux de personnalités dissidentes issues de ces formations. Andres Pastrana, chef de l’État élu en 1998 était conservateur. Ses successeurs, de 2002 à 2018, Alvaro Uribe (2002/2010) et Juan Manuel Santos, (2010/2018), avaient fait leurs classes au parti libéral. Chacun bien entendu proposait au fil de son mandat une lecture personnelle du conservatisme et du libéralisme.

Les vieux partis et leurs codes politiques et électoraux ont pris du plomb dans l’aile cette fois-ci. Les électeurs Colombiens, en effet, ont éliminé le 27 mai, au premier tour des présidentielles quatre des candidats en présence. Représentatifs d’alliances hétérogènes et d’ambitions personnelles, articulées par des candidats plus ou moins libéraux. L’ex vice-président German Vargas Lleras courait sous ses propres couleurs. L’ex gouverneur et ancien maire de Medellin Sergio Fajardo, était soutenu par un parti de gauche, le Pôle démocratique, et une formation Verte. Le libéral Humberto de la Calle représentait le libéralisme historique, sans pour autant avoir l’appui de tous ses coreligionnaires.Vu de loin, d’Europe par exemple, on aurait pu penser que la paix était l’enjeu de cette consultation. La paix, c’est à dire les accords signés par le président Santos et les Forces armées révolutionnaires de Colombie le 27 septembre 2016 à Carthagène des Indes. Il n’en a rien été, ou très marginalement. Parce que cette paix est une mauvaise paix pour Ivan Duque et son mentor Alvaro Uribe. Et qu’elle doit donc être révisée en fonction des critères sécuritaires avalisés majoritairement par les électeurs le 2 octobre 2016 par référendum. Sans autre forme de procès. Juan Manuel Santos avait bricolé un rattrapage parlementaire adopté le 24 novembre. 2016. Mais Juan Manuel Santos est aujourd’hui un président sortant, sans héritier ni relais politiques. Gustavo Petro bien qu’attaché au respect de la parole donnée, a centré sa campagne sur des thématiques sociales.

Défendre les accords de façon trop ostentatoire pouvait être perçu comme la défense de la violence en politique.

Aux législatives du 11 mars 2018 les FARC, la Force Alternative Révolutionnaire du Commun, créée par la guérilla, a obtenu un maigre et révélateur 0,4% des suffrages exprimés.

Ivan Duque a donc beaucoup parlé de ses projets visant à réformer l’État, alléger la fonction publique, afin de baisser la charge fiscale et les impôts. Il a aussi distillé la peur. Non pas la peur des FARC. Mais celle du Venezuela qui serait le modèle défendu par son rival, qualifié de « castro-chaviste ». Gustavo Petro, dont le programme est de tonalité réformiste à l’européenne, a mis beaucoup d’eau dans ses professions de foi. Il a signalé qu’il respectait la propriété privée, et condamnait le régime de Nicolas Maduro.

Le message a du mal à passer. Il est vrai que les milliers de réfugiés économiques vénézuéliens qui entrent en flux continu en Colombie ne lui facilitent pas la tâche. Et qu’il est difficile d’être social quand l’adversaire et ses soutiens médiatiques assimilent social à communisme et « castro-chavisme ». La dynamique de la campagne est incontestablement chez Ivan Duque qui a obtenu le soutien sans condition de l’ex vice-président German Vargas Lleras comme celui de personnalités comme l’ex-président libéral Garcia Gaviria. Ce qui a contraint Humberto de la Calle, à se réfugier dans le vote blanc pour préserver l’unité du parti. Sergio Fajardo, dont le programme est en tout point semblable à celui de Gustavo Petro, lui aussi a fait un pas de côté. Il prône le vote blanc, présentant Petro comme un dangereux extrémiste.

Plus inattendu, le sénateur du Polo Democratico, Jorge Enrique Robledo, bien que d’extrême gauche, au nom d’inimitiés idéologiques anciennes et recuites, votera blanc. Gustavo Petro a bien obtenu des soutiens partiels » ceux d’une partie des Verts, du secteur majoritaire du Polo democratico et celui de Clara Lopez, la candidate à la vice-présidence du candidat libéral. Mais le compte n’y est pas.

Les premiers sondages publiés font état d’un rapport de forces révélateur de cette situation » 55% pour Ivan Duque; 35% pour Gustavo Petro et 10% de votes blancs.

Au terme de l’exercice, au lendemain donc de la votation, le réel pourrait rapidement se rappeler au président élu. L’Accord avec les FARC négocié de 2012 à 2016 pourra-t-il être dénoncé, même partiellement, avec l’assentiment des ex-guérilleros? Faute de reconversion effective 20% de ceux-ci ont d’ores et déjà repris du service. Dans d’autres groupes armés, délinquants pour la plupart.

Jesus Santrich, l’un des négociateurs des accords, arrêté, à la demande des États-Unis, est en attente d’extradition. Ce qui a entraîné le retour dans la forêt de l’un des responsables des FARC, Ivan Marquez. La fin de règne de Juan Manuel Santos, s’accompagne d’un effritement lent et continu de la paix intérieure. Les homicides ont fortement augmenté depuis 2017. Les déplacements de population, à la suite de conflits entre bandes rivales, également. Cette tendance pourrait être confirmée et consolidée par les électeurs le 17 juin, paradoxalement au nom de la peur « castro-chaviste ».

 
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