ANALYSES

Al Jazeera : au cœur de la crise au Moyen-Orient

Presse
27 juin 2017
Le 5 juin dernier, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn, l’Egypte et le Yémen ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme djihadiste.Depuis, un embargo s’est abattu sur la micro-monarchie gazière.

Si Al Jazeera s’est imposée en un laps de temps relativement bref comme l’un des principaux médias au monde, son existence a toujours été contestée et critiquée, même si l’identité de ses détracteurs elle a pu évoluer.

Aujourd’hui, la chaîne est au cœur de la crise diplomatique entre les alliés de l’Arabie Saoudite d’un côté et le Qatar, de l’autre. Plusieurs bureaux de la chaîne d’information qatarie ont déjà été fermés dans la région, y compris en Egypte.

Pis, la fermeture de la chaîne Al Jazeera ferait partie de la liste d’injonctions exprimées par les voisins du Qatar pour mettre fin à la crise. Il est piquant de voir le micro-Etat en appeler à la liberté d’expression dans la région pour rejeter cette demande, alors même que ce droit fondamental est loin d’être respecté au sein de la micro-monarchie…

La requête de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, de Bahreïn et de l’Egypte n’en reste pas moins fondamentalement anachronique et liberticide (pour l’Etat qatari comme les individus). Elle se fonde sur les liens supposés d’Al Jazeera avec Daech, Al-Qaïda et le Hezbollah chiite libanais, ainsi que le soutien à peine voilé aux Frères musulmans, ennemis politiques des différents pouvoirs en place dans ces régimes.

Cet épisode, au-delà des explications liées au contexte actuel, s’inscrit aussi dans l’histoire récente de la région. Dès son origine, Al Jazeera, s’attire l’ire des gouvernements voisins qui mettent en place une stratégie contre la chaîne.

En 2001, Moubarak, en visite dans les locaux d’Al Jazeera, dit cette phrase qui traduit bien le mépris et la méfiance des dirigeants de la région pour la chaîne : « C’est donc de cette boîte d’allumettes que sort tout ce vacarme ».

A la suite de sa prise de pouvoir au Qatar par un coup d’Etat contre son père en juin 1995, le cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani cherche à mener une politique de modernisation de son pays mais aussi d’influence et de puissance. Cette politique de puissance et de modernisation passe par des réformes comme l’édiction d’une nouvelle constitution mais aussi par la création de la chaîne satellitaire Al Jazeera (la Péninsule) le 1er novembre 1996.

Créée par l’émir du Qatar en 1996, Al Jazeera représente ainsi la première chaîne arabe d’information en continue. Si elle est d’abord critiquée et caricaturée comme « la chaîne de Ben Laden », ce qui lui vaut l’hostilité du monde occidental, Etats-Unis en tête, Al Jazeera s’impose progressivement.

Véritable instrument du soft power du pays, la chaîne détrône rapidement les médias – principalement saoudiens – de la région. Un succès qui est lié à une ligne éditoriale hybride, mêlant arabisme, islamisme et libéralisme (Mohammed El Oifi).

Mais ce n’est cependant qu’après les évènements du 11 septembre 2001 que la chaîne Qatari va passer de la visibilité régionale à la consécration mondiale. S’agissant de la guerre en Afghanistan, Al Jazeera bénéficie d’un monopole sur la couverture des évènements.

Les médias occidentaux n’ont d’autres choix que de retransmettre les images de la chaîne Qatari qui se fait alors connaître de l’opinion publique de l’Ouest.

Al Jazeera développe un discours critique et autonome lors de la deuxième Guerre d’Irak, ce qui lui permet de s’ériger en forum d’expression de l’opinion arabe dominante.

La création de sa version globale en langue anglaise puis la couverture de l’intervention israélienne à Gaza en 2008 augmentent encore l’influence régionale et mondiale de la chaîne.

Toutefois, avec le soulèvement des peuples arabes en 2011, on assiste à une rupture de l’équilibre entre liberté éditoriale de la chaîne et autoritarisme de son financeur étatique.

Face aux enjeux de la reconstruction politique en Tunisie, en Egypte, en Libye, en Syrie et ailleurs, le pouvoir qatari rompt de fait l’indépendance relative de la chaîne.

L’alignement de la ligne éditorial d’Al Jazeera avec les intérêts de l’émirat, en particulier à travers le soutien manifeste apporté aux Frères musulmans arrivés au pouvoir en Egypte, a souligné le problème d’indépendance de la chaîne.

Aujourd’hui le lien organique entre l’Etat du Qatar et Al-Jazeera se retourne contre la chaîne. Plus que jamais, leurs destins sont liés…
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