ANALYSES

La RD Congo condamnée à une crise sans fin ?

Interview
21 juin 2017
Le point de vue de Pierre Jacquemot
Face aux violences meurtrières perpétrées en RDC, l’armée locale et les forces onusiennes apparaissent inefficaces. Le point de vue de Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS et ancien ambassadeur en RDC.

Quelles sont les origines du conflit et de la dégradation de la situation politique ?

Aujourd’hui, la situation politique en RDC est bloquée. L’actuel président Joseph Kabila, arrivé au pouvoir en 2001 à l’âge de 29 ans, à la suite du décès de son père, a été conforté à ce poste à l’issue de deux scrutins électoraux, largement contestés. Son mandat aurait normalement dû s’achever fin 2016.

L’organisation matérielle et technique du processus électoral dans ce pays immense – quatre fois la superficie de la France, 70 millions d’habitants et des infrastructures défaillantes – est particulièrement compliquée. Le fichier électoral n’est pas tenu à jour. Il faut pourtant fournir une carte électorale à tous les nouveaux électeurs. Le matériel électoral doit aussi être installé. Or, le centre du pays est difficilement accessible – notamment la région du Kasaï et le cœur forestier – sans des moyens logistiques lourds. L’argument de la complexité matérielle est avancé par Joseph Kabila pour expliquer le retard du processus électoral. Il est réel.

Le deuxième facteur réside dans l’impossibilité pour l’opposition de s’organiser pour préparer ces élections et proposer une option alternative à Kabila. Ceci s’explique largement par l’importance du fait régional et ethnique. Les personnalités de l’opposition sont d’abord des représentants de leur fief : le Kasaï pour Felix Tshisekedi, le Kivu pour Vital Kamerhe ou le Katenga pour Moïse Katumbi. Ils ont une dimension régionale et peu nationale, ce qui n’était pas le cas Tshisekedi père, opposant de toujours et récemment décédé. Ainsi, par exemple, un kasaïen aura toujours du mal à voter pour un katangais à cause d’histoires anciennes et douloureuses entre ces communautés.

Les Églises jouent un rôle très important dans la vie politique. Le cardinal Laurent Monsengwo, personnalité charismatique, a joué un rôle clé depuis les années 2000 en tant que président de la Conférence nationale. Les Églises veulent éviter toute violence et sont parvenues in extremis avant le 1er janvier de cette année à un accord dit de la Saint-Sylvestre. Cependant, celui-ci n’arrive pas à se mettre en place. Il prévoyait que Kabila reste un an mais que l’opposition lui propose trois candidatures de Premier ministre. Il a au final choisi lui-même son Premier ministre au sein de l’opposition mais ce dernier n’est pas accepté par toute l’opposition, notamment à cause du fait régional.

Depuis son indépendance en 1960, marquée par l’assassinat de Patrice Lumumba, puis avec les 30 ans du régime dictatorial de Mobutu, suivis de l’occupation du pays par les forces rwandaises et ougandaises et enfin l’installation des Kabila, père et fils, l’histoire du Congo est une tragédie. Il n’empêche, vaille que vaille, le pays est toujours parvenu à sortir de ses impasses en trouvant des compromis plus ou moins stables. Des poches de violence existent toujours dans le pays mais la RD Congo demeure, coûte que coûte, dans ses frontières. Un miracle en quelque sorte !

Aujourd’hui, le cas congolais reste particulier en comparaison d’autres pays. En Afrique de l’Ouest, l’alternance est devenue un fait démocratique (Ghana, Sénégal, Gambie, Nigéria) avec l’élection comme processus exemplaire de maturité politique et la reconnaissance de l’opposition. Ce n’est par contre pas le cas en Afrique centrale, encore régie par des autocrates installés depuis une trentaine d’années pour certains (Paul Biya, Yoweri Museveni, Sassou Nguesso, Teodoro Obiang, Bongo père et fils). Au regard de ces derniers cas, la RD Congo, régulièrement montrée du doigt comme le mauvais élève, n’affiche pas une situation aussi pire qu’on le dit.

Peut-on envisager des négociations ? Avec quels acteurs ?

En réalité, les communautés internationale, américaine et européenne ont une faible influence en RDC. On aurait tort de penser que les résolutions de l’ONU ou les prises de positions de capitales du Nord puissent agir efficacement pour instaurer la stabilité du pays et établir un consensus politique. Les Belges, les anciens colonisateurs, suivent de près la situation et tentent d’interférer mais trop souvent de manière maladroite ; ils sont perçus comme des donneurs de leçons.

C’est plutôt en interne que les solutions doivent être trouvées. La balle est du côté du clan de Kabila et celui-ci doit se rendre compte de la nécessité de quitter le pouvoir fin 2017, en obtenant en contrepartie des garanties sur son immunité future.

Plutôt que les communautés européenne et internationale, c’est l’Union africaine qui peut être influente. En son sein, certains chefs d’États ont un poids incontestable comme Paul Kagamé (Rwanda) et Yoweri Museveni (Ouganda). Le problème est que ces deux pays ont occupé le Congo il y a une quinzaine d’années et sont les voisins malaimés de la population. Il faudrait plutôt trouver des personnalités du côté du Kenya, de la Tanzanie, du Mozambique… Denis Sassou-Nguesso, président de la République du Congo, a aussi un rôle à jouer en tant que voisin ; d’autant plus que son pays peut être directement affecté par la situation en RDC.

Comment expliquer l’impuissance de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) ?

La RDC a toujours connu la présence des Casques bleus puisque certains pays occidentaux ont pratiquement envoyé des troupes depuis l’indépendance en 1960. Lors de l’arrivée de Kabila père en 1994 et surtout après son assassinat en 2001, les forces des Nations unies ont grossi pour assurer la sécurité du territoire, jusqu’à atteindre 20 000 personnes (militaires, policiers et administrateurs), pour un coût dépassant le milliard de dollars. Les Casques bleus sont principalement concentrés au Nord et au Sud Kivu mais l’insécurité est croissante dans le Kasaï, tandis que le Nord-Katanga n’est pas stabilisé. Dans les régions les plus fragiles, le conflit trouve surtout son assise dans l’exploitation des minerais (coltan, étain, or) et dans les intérêts fonciers.

Les forces de l’ONU sont globalement considérées comme inefficaces par la population. Lorsque celle-ci est victime de razzia d’un groupe Maï Maï ou de prédation de l’armée, elle juge que les Casques bleus tardent à intervenir. De son côté, l’armée nationale est particulièrement inopérante, mal payée, mal équipée, mal formée et mal nourrie. Elle représente un conglomérat d’une cinquantaine d’anciens groupes rebelles et on assiste à l’intérieur de l’armée à la reconstitution de fait de ces groupes rebelles, autour de leur ancien chef ayant obtenu un grade élevé. L’armée est donc fragmentée, inefficace et mal organisée avec des chefs menant parfois des actions pour leurs propres intérêts, parfois au détriment des populations (pillage, contrôle du marché des minerais…).

En parallèle, les Casques bleus sont trop souvent barricadés dans leur campement et ont peu de relations directes avec la population. Les seules forces onusiennes véritablement efficaces sont les troupes d’origine africaine car elles ont une plus grande proximité et une meilleure compréhension de la situation des Congolais. On se souvient que lorsque les forces de l’ONU étaient dirigées par le général sénégalais Babacar Gaye, elles étaient probablement plus efficaces.

L’éternelle question, dans une zone d’insécurité et de grande vulnérabilité de la population, est de savoir si l’on peut engager des combats préventifs pour neutraliser des rebelles. Le pouvoir d’intervention des Casques bleus a certes été étendu mais ils restent encore très réticents à aller au combat sans la garantie d’une forte protection, ce qui entrave leur efficacité.
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