ANALYSES

En Tunisie : « Essid le technocrate vient de donner une belle leçon de démocratie »

Presse
1 août 2016
Interview de Kader Abderrahim - Libération
Les consultations pour former le gouvernement «d’union nationale» souhaité par le président tunisien, Beji Caïd Essebsi, ont débuté lundi. Samedi soir, 118 députés (sur 191 présents) ont voté la défiance à l’égard du Premier ministre, Habib Essid, technocrate sans affiliation politique qui a démissionné après dix-huit mois en poste. Analyse de Kader Abderrahim, spécialiste du Maghreb à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Que signifie ce vote de défiance ?

C’est une bonne nouvelle car c’est le Premier ministre lui-même qui l’a réclamé. Depuis plusieurs mois, il y avait des tensions avec la majorité, et surtout avec le président de la République. Par amour-propre, Essid a souhaité passer par le Parlement, avec le vote de confiance, plutôt que de se soumettre aux injonctions du chef de l’Etat. Il savait pourtant qu’il ne pouvait pas gagner cette bataille. Mais c’était un geste fort, pour affirmer que dans cette Tunisie-là, on ne peut pas passer outre la légitimité de l’Assemblée. Essid est un technocrate, mais il vient de donner une belle leçon, à même d’ancrer le parlementarisme dans la nouvelle culture politique tunisienne.

A quoi va ressembler le gouvernement d’union nationale ?

L’union nationale est certes une nécessité, mais elle est impensable aujourd’hui. Il y a tellement de tensions à l’intérieur de Nidaa Tounes, le parti présidentiel, qu’il va être difficile de faire de la place à des personnalités extérieures, venant d’Ennahdha [le parti islamo-conservateur, ndlr] ou de l’Union patriotique libre [la formation du parti de l’homme d’affaires Slim Riahi]. C’est pourtant indispensable. Nidaa Tounes ne peut gouverner seul. Je ne suis pas optimiste : le Président est très fragilisé. Il a 89 ans. Ça aiguise les appétits.

Les partis réfléchissent déjà à l’après-Essebsi ?

Tout le monde ne pense qu’à ça ! A l’intérieur de Nidaa Tounes, certains envisageaient la succession du Président par son fils. Cette tentation népotique a provoqué des défections à l’intérieur du parti présidentiel, qui est devenu minoritaire et à dû passer des alliances pour éviter la crise.

Propos recueillis par Célian Macé
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